Arisitum:

Tant de Misères

par Gilles DEJEAN.

Gilles Déjean: 728 rue Fontcarade, résidence Fontcarade, bâtiment 5, 34000 Montpellier


Le mythe du bon vieux temps commence doucement à s'effacer au rythme des nouvelles découvertes. Le temps chargé de mystère s'estompe peu à peu. Nous entamons à peine des recherches primordiales qui lèvent le voile sur les difficultés et les luttes qu'ont mené nos ancêtres dans leur combat contre un climat au calme souvent trompeur.

Combien de villageois n'ont-ils pas pesté contre la chaleur qui desséchait leurs cultures et asséchait leurs mares, contre le froid qui gelait leurs arbres fruitiers, ou le brouillard givrant qui en brûlait les pousses, contre les pluies qui ravinaient les chemins et emportaient leur terre...

En consultant les archives de la commune de Saint-Guilhem-le-Désert, nous espérions approcher au plus près de ces variations climatiques pour percevoir l'impact qu'elles pouvaient avoir sur une population agricole, implantée dans un village des gorges de l'Hérault.

Nos investigations prennent leur point de départ en 1716. Nous apprenons alors que « la rigueur de l'hiver dernier a tellement endomagé les bleds et les oliviers que les habitans forains qui avoit semé nont pas ceuilly la semence quil avoit jette en terre par un plus grand surcroit de malheur que la grande secheresse qui a contribuée a cette esterillette de recolte des grains ». Comme de coutume, on appelle à l'aide l'intendance du Languedoc qui attribue un secours de « deux cens huitante une livre quatorze sous pour indemnité de la secheresse ».

Avant le 24 mars 1720, un violent orage ravine les chemins. Ceux-ci sont « en sy mauvais estat, et principalement celluy du pas de lescallou qui a esté entierement gatté par le débordement des eaux quil est imprinticable ». Une inondation causée par un orage, le 2 octobre 1723, détruit « le four commun que le ruisseau de verdus a emporté le deuxième du présent mois ... la dernière inondation a gatté et coupé le canal en plusieurs endroits tant à la fontaine de la paroisse haute qu'au fontaines de la paroisse basse ».

Le 27 décembre 1723, la commune appelle à la vérification des dommages les experts nommés par l'Intendance car « la Communauté fit des grosses depances et plusieurs journes furent fournies par les habitans sans pourtant que ledits chemins soient particables, estant necessaires de faire des reparations aux endroits les plus affreux des dits chemins, de meme pour comblées le grand crus fait par ledit orage au milhieu du passage de la porte de gange et de celle de la pize ».

L'entretien des chemins de communication est essentielle puisque c'est sur eux que repose tout le commerce avec les foires de la province et les villages envirronants. Mais pour obtenir de l'aide, il faut quemander auprès de l'administration, quitte a amplifier les destructions subies: le 18 mars 1724, l'assemblée des habitants de la commune se propose d'envoyer un représantant à l'assiette du diocèse de lodève qui « doit se faire mardy prochain vingtieme du courant ... pour aller representés à Monseigneur l'évesque de Lodève le mauvais estat de tous nos chemins, des ponts Saint Guilhem et de Malafosse desquels les parapets ont esté emportés, et le comblement diceux jusques a la vouttes ... pour reparés les rues qui estoient impraticables, plusieurs habitans ne pouvant sortir de leurs maisons a cause des grans precipices quil y avoit dans les dites rues, plusieurs maisons moulins à bleds et à huille avec leurs meubles et effets ayant esté emportés et les danrés que plusieurs habitans avoit dans leurs maisons en vin et en huille, que plusieurs preds jardins vignes et olivettes ont esté aussy emportés, et généralement toutes les terres ont esté endomagées par la grande quantité des eaux qui dessendent des montagnes, qui se rendent dans le présent lieu ».

Le 16 novembre 1725, un autre drame survient. Nous apprenons que « le jour dhier et pendent toutte la nuit suivante il a fait un sy grand orage dans le present lieu et dans tout le terroir quil a emporté plusieurs maisons avec tous les meubles et effets que les particuliers des dittes maisons submergées pouvoient y avoir, lesquels particuliers ont esté obligés den sortir nayant que la chemise est sur leurs corps et se trouvant à présent aucun couvert et sans aucuns moyens pour vivre et générallement les prèds jardins ollivettes vignes et le reste des maisons ont esté endommagés audit lieu et terroir par les maisons moulins à bled et à huille ont esté emportés ou endomagés ». Comble de malchance, la commune n'avait pu encore réparer tous les dégats de l'innondation de 1723. Et c'est cette question angoissante qui revient, comme une litanie: que nous réserve encore la « colère de Dieu » ?

Le 2 juin 1727, c'est la grêle qui sévit: « il fit un sy grand orage au present lieu quil tomba dans le terroir des hameaux en depandants une sy grande quantité de grelle dune grosseur extraordinaire qui emporta tous les bleds et tout ce qui estoient semé dans les champs et generallement toutes les vignes des dits hameaux et des particuliers avec leurs ramassages d'iceux qui servoient a la nourriture des cabeaux d'iceux ont esté emportes, de maniere que les particuliers propriétaires des dits hameaux sont reduits dans une grande dezolation lesquels nauroit rien dans leurs terres pour leur subsitance et de leurs troupeaux ny pouvoit payer la taille de leur biens ». Et c'est bien de cela dont il s'agit: s'il n'y a pas de production, les impôts et les taxes ne peuvent être payées. On conçoit donc la necessité pour les agriculteurs de recourir auprès de l'administration fiscale pour obtenir quelque dégrèvement...

Autre exemple, celui du 24 avril 1734: « la grande secheresse de lannée dernieres a este sy grande quil ny a eu dans le terroir du present lieu presque point de recolte des grains du vin y dolives comme il se peut justifiés par la dime qui a esté levée, que dailleurs les inondations de 1723 et 1725 emporterent les terres qui sont dans les montagnes et vallons de ce lieu Extrement sujette aux dittes inondations et secheresses ce qui est cause quil ny a eu depuis plusieurs années que des modiques recoltes et que les habitans Sont dans limpossibilité de pouvoir soutenir Les dits biens et payer les tailles et autres charges ».

L'intervention divine, dans les variations climatiques, est souvent stigmatisée: « un juste chatiment de nos pechés nous afflige encore aujourdhuy par un derangement des saisons et une longue secheresse a laquelle nos terres sont extrement sujettes ... ce qui cauze quil ny a eu depuis deux ans que des miserables recoltes dolives des grains et du vin ».

Et comme s'il n'y avait pas assez de malheur sur cette terre, c'est maintenant l'eau qui vient à manquer: le 9 juillet 1737 « la fontaine de la place du present lieu ayant tary par la grande secheresse tous les habitant de la parroisse Saint barthelemy sont en souffrance ayant peyne davoir de leau pour boire et autres usages ».

Pire encore est l'année 1739: « la secheresse de lannée derniere feut cause que la récolte des ollives feut sy modique quelle eut paine à payer ce quelle contèrent pour les amasser nayant produit quelque dhuille tant les ollives estoient pettites, la présente année ladite sécheresse, les vents de bizes et brouillards ont emportée la recolte des grains et des foins et des ollives meme le froid et les gelés blanches peuvent en son temps estre préjudiciables aux vignes, qui nont produits que fort peu des raisins que les derniers accidents sechent journellement, comme cette communauté sest epuizé par la cherté excessive des aliments de lannée dernière et la mauvaise récolte de ladite année, et la courante année la cherté des grains que nous sommes obligés dacheter toutte lannée ny ayant quelques hameaux qui en sement que le plus souvent nont pas la semence ». En bref, c'est la famine !

Le 18 août 1754, se déclare un incendie de forêts et vaccants, chose assez rare au XVIIIème siècle pour être signalé. Cette incendie fut relativement important pour être noté dans les registre de l'Intendance du Languedoc, et nombre de fois dans les registres communaux. Et en 1766, on apprend qu'un autre incendie s'est déclaré: « le jour d'hier à dix heures du matin qu'il y avoit feu a nos communaux quy a surpris tout le monde puisque les cendres de cette incendye sont venues jusques dans le village et à la vue de tout le public jusques à la place, feu quy a prix son commancement, au roc apellé la Masque et quy cest etendu jusque a combes plannes et tenement de Coustiaux dont nous precigeons que c'est incendye peut avoir brullé environ cent cetterées de terre en cette communauté et fort heureusement que ce feu naye brullé en laction tous nos coutteaux ... ».

Le 14 février 1776, les conséquences des mauvaises années successives se font bien sentir: « les malheur des tems, la stérilité du païs, la cherté des denrhées necessaires à la vie, le poids des impositions, et les inondations fréquentes aux quelles Communauté est exposée l'ont reduits dans un tel état qu'un nombre considérable d'habitants ont depuis quelques années deserté leurs pays, abbandonnant leurs maisons et leurs possessions pour aller chercher ailleurs de quoy subsiter par leur travail, ce qui aggravant l'état malheureux de ceux qui restent, ne peut que les conduire a un deguerpissement général, que comparant les revenus et ressources du pays avec les charges il reste plus rien aux habitants que dans cet état de détresse générale, on est dans l'impossibilité absolue de faire aucune réparation aux chemins que les eaux ont degradé, que bientot ces chemins qui servent d'issue pour aller au marché de Gignac se pouvoir chaque semaine du grain necessaire pour la nourriture des habitants seront totalement impraticables et occasionneront la famine dans ce pays ou l'on ne receuille aucune espèce de grain, que faute de ressources on ne sera jamais en état de réparés les fontaines publiques dont l'eau s'est perdue par les dégradations des torrents qui nous environnent, qu'enfin dans cet etat de désolation et de desespoir, il seroit à propos de mettre sous les yeux de nos Seigneurs des états de la province le tableau de nos malheurs et leurs representer que depuis huit cent ans que notre village existe les habitants de St Guilhem ont contribué a toutes les charges de la province, et n'en ont jamais reçû aucune gratification, et d'autant qu'il n'est personne dans le pays plus propre a remplir cet objet que Dom de franc prieur de l'abbaye dont la charité nous est connue, et dont nous eprouvons journellement les effets par les aumones abondantes qu'il donne soit en pain, soit en argent, soit en étoffes, et sans les quelles la plupart de nos habitants ne pourroit subsister...».

Comme le soulignera le conseil municipal, le 23 octobre 1817, suite à une nouvelle et catastrophique inondation: « ...notre infortunée commune qui à si juste titre porte le surnom du Desert ».

Sources: Archives Départementales de l'Hérault, série E Dépot, commune de Saint-Guilhem-le-Désert, séries BB et D (délibérations communales 1718-1816), ainsi que les registres de l'Intendance du Languedoc (série C, côtes 969 à 1043).


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