Arisitum

PREMIER COURS DE LATIN
(Introduction)

Cours du Samedi 13 septembre 1997


Est-il besoin d'une grande mémoire pour apprendre le latin ?

Allez trouver un professeur et demandez-lui de vous apprendre une langue. Son premier soin sera de vous faire remarquer que, pour arriver à un bon résultat, il suffit de connaître un grand nombre de mots, ce que l'on appelle le vocabulaire... auquel vous ajouterez les règles propres à la langue étudiée, c'est-à-dire grammaire et syntaxe.

D'où il résulte que, si vous ne possédez pas une mémoire remarquable pour apprendre par coeur des milliers de mots et vous loger dans la tête ces fameuses règles de syntaxe, vous éprouverez une peine inouïe à faire quelques progrès dans une étude qui, à la vérité, n'offre rien d'intéressant pour votre esprit.

Qu'à la rigueur on applique cette méthode à une langue qu'on doit parler, je l'excuserais volontiers; mais il n'est pas question, que je sache, d'apprendre à s'exprimer en latin, et en bon latin; votre ambition est tout autre: il s'agit simplement pour l'instant de pouvoir traduire un texte latin, et notre tâche se simplifie.

N'aurons-nous pas, me direz-vous, à retenir de mémoire quantité de mots latins si nous voulons les comprendre et les rendre en français ?

Je sais en effet que, dans tous les établissements d'enseignement, dès les premières classes de latin, on donne à l'enfant des listes de mots à apprendre par coeur, soit deux dizaines par jour. Après six mois de ce régime, l'élève est censé connaître quelque chose comme deux mille mots; au bout de cinq années de cette gymnastique taylorisée, on devrait avoir amassé le contenu d'un important dictionnaire.

Heureusement que le cerveau de l'enfant ne se laisse pas remplir comme une corbeille d'osier. Le panier où il entasse sa récolte journalière est à parois percées à jour comme une écumoire: seul, le plus gros est retenu, le reste passe à travers les mailles.

Et le moyen, objecterez-vous, de faire autrement ?

Et bien, je reste persuadé qu'on doit pouvoir arriver à enseigner le latin comme on enseigne les sciences, en intéressant l'esprit à une matière qu'on pourrait acquérir par des procédés ne reposant pas uniquement sur la mémoire.

La tâche me paraît d'autant plus facile que je m'adresse à des Français, c'est-à-dire à des sujets qui parlent et écrivent une langue dérivée à peu près tout entière du latin.

Comment le latin a formé le Français ?

Le français dérive du latin en ce sens que 90% des mots de la langue dont nous nous servons dans l'usage courant ne sont que des déformation de mots latin. Voilà une assertion qu'on retrouve dans toutes les grammaires et dans toutes les histoires, mais vous a-t-on expliqué le mécanisme de cette dérivation ?

Il vous faut d'abord comprendre qu'une langue évolue sans cesse comme un organisme vivant. Lorsqu'on l'étudie, il faut la saisir à tel ou tel moment : le français que nous parlons n'est déjà plus la langue de Bossuet (1627-1704), celle du siècle de Louis XIV. De même, le beau latin du temps d'Auguste (63 av. J.C.- 14 apr. J.C.), s'affadit peu à peu avec les siècles. Mais déjà, à l'époque du latin classique, le peuple était loin de parler comme les lettrés et c'est surtout le latin populaire qui pénétra dans les Gaules avec les légions romaines.

C'est de ce latin vulgaire qu'est sortie la langue romane, dont dérivent la plupart de nos mots français usuels. Ainsi, en remontant le cours des siècles, on peut arriver à fixer les diverses étapes parcourues par les mots de la langue actuelle, qui se relie au latin en passant par la langue romane.

Sans vouloir entrer ici dans des détails trop techniques, il me semble néanmoins opportun de vous donner quelques règles de nature à vous faire comprendre les changements survenus peu à peu dans notre langue au cours des deux derniers millénaires.

Comment se transforment les mots ?

Dans toutes les langues, les mots possèdent ce que l'on appele une syllabe accentuée, c'est-à-dire sur laquelle la voix s'élève davantage; en d'autres termes, une syllabe qui porte l'accent tonique.

Dans les mots de deux syllabes, c'était toujours la première qui portait l'accent tonique. Dans les mots de trois syllabes, c'était tantôt la première, tantôt la seconde, suivant les règles qu'on apprend lorsqu'on étudie la prosodie latine (autrement dit l'intonation).

Ainsi dans cantat (il chante), c'est can qui recevait l'accent tonique. Dans dominus (le maître, le seigneur), c'est do qui est accentué; dans Romani (les romains), l'accent est au milieu, sur ma, avant-dernière syllabe.

Il s'ensuit que, lorsqu'on prononce correctement les mots latins, on entend surtout la syllabe accentuée. Si le mot n'est pas écrit, le peuple a une tendance à supprimer le reste ou à le dénaturer.

Aussi, dans la langue romane dérivée directement du latin, peut-on constater une série de transformation dont je vais vous donner quelques exemples.

Mais tandis que le peuple transformait ainsi la langue d'après les sons et suivant des règles acoustiques, les lettrés s'évertuaient à leur tour pour tirer, des mots véritables, certains termes plus rapprochés du latin. Alors que, de porticum, le peuple avait fait porche, les savants inventaient portique.

C'est ainsi que souvent le même mot latin a donné naissance à deux termes qu'on appelle doublets : l'un de "formation populaire", l'autre de "formation savante". L'emploi des cas sujet ou régime, que nous verrons bientôt, a d'ailleurs grandement contribué à ces acquisitions.

Exemples Formation savante Formation populaire
Fragilem

fragile

frêle

Hospitale

hôpital

hôtel

Liberare

libérer

livrer

Tandis que des mots comme templum, donum, domum, montem, donnaient temple, don, dôme, mont, en perdant leur dernière syllabe non accentuée, d'autres se voyaient, par abréviation, amputés de leur commencement. C'est ainsi qie avunculum a donné oncle; que bossu est dérivé de gibbosus; jeûne de jejunium; boire de bibere et que papaver a donné pavot.

Mais le phénomène le plus curieux est l'altération, toujours dans le même sens, des consonnes et des voyelles, altération qui s'explique par la loi du moindre effort.

Le "c" dur, par exemple, a été remplacé assez souvent par "ch", plus facile à prononcer :

Cantare chanter
Canem chien
Carduum chardon
Calorem chaleur
Candelam chandelle
Campum champ

Par euphonie, ou par paresse plutôt, les mots commençant par "sp", de prononciation difficile, ont reçu un "e" initial. C'est d'ailleurs ce que nous constatons encore de nos jours où nos grands-parents disent volontiers "estatue" au lieu de "statue".

Spatium espace
Speciem espèce
Scabellum escabeau
Spiritum esprit
Spem espoir

Scalam a d'abord pris un "e" pour faire escalam puis a formé échelle (le "c" devient alors "ch") et a donné également "escale", "escalade".

Souvent même, on en est arrivé à supprimer la lettre "s", tout en gardant la lettre "e" de surérogation :

Stellam a donné estoile qu'on écrit actuellement étoile
Scholam a donné escole qu'on écrit actuellement école
Studium a donné estude qu'on écrit actuellement étude

Lorsqu'on suit ces transformations à partir du latin, on comprend mieux certaines particularités de notre orthographe, comme le "g" qui termine le mot étang. Pourquoi le présence de cette lettre inutile ? Simplement parce que le latin stagnum a d'abord donné "estang", puis "étang", dont l'orthographe rapelle le "g" primitif.

On a aussi remarqué la facilité avec laquelle les lettres d'un même groupe, dentales ou labiales, se substituent les unes aux autres: Catenam, par exemple, qui a donné chaîne, a aussi formé "cadenas", par la substitution de la dentale "d" à la dentale "t".

Les labiales "b", "p" et "f", "v", qui sont si souvent prises l'une pour l'autre par les Allemands lorsqu'ils prononcent notre langue, se sont maintes fois remplacées au cours de l'évolution des mots latins ou romans.

Hibernum a donné hiver
Ripam a donné rive
Navem a donné nef
Ovum a donné oeuf

On peut voir ainsi que certaines terminaisons en "el" se sont changées en "eau"

Scabellum a donné escabelle et escabeau
Castellum a donné castel et château
Bellum a donné bel et beau

comme pellis a donné peau.

Quant aux voyelles, elles se sont souvent muées en voyelles doubles, sortes de diphtongues que le peuple affectionne. C'est ainsi que:

Manum est devenu main
Amare est devenu aimer
Viam est devenu voie
Trojam est devenu truie
Solum est devenu seul
Gulam est devenu gueule

Mais pour comprendre l'évolution de quelques mots comme muscam, il faut savoir que, chez les Latins, certains "u" se prononçaient "ou". On disait donc "mouscam", qui a donné mouche, comme turrem a donné tour et ursum a donné ours.

La suite Samedi 20 septembre


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