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DEUXIEME COURS DE LATIN

Cours du Samedi 20 septembre 1997


La phrase latine et la phrase française.

Avant de commencer l'étude du latin, il est absolument nécessaire de connaître la différence essentielle qui distingue la construction d'une phrase latine de l'agencement des mots dans une phrase française.

Supposons, par exemple, la phrase suivante :

La malheureuse mère demandait à Dieu, par ses prières, la santé de son fils

En bonne règle, et si nous désirons suivre le génie de notre langue, toujours logique, claire et rationelle, nous devrions énoncer successivement: le sujet, le verbe, le complément d'objet direct, puis le complément d'objet indirect, et dire :

La malheureuse mère demandait la santé de son fils à Dieu par ses prières

Les inversions que nous nous sommes permises dans la tournure ont été dictées par un simple souci d'élégance.

Or, en latin, l'inversion est presque la règle et, suivant qu'on veut donner plus de poids à telle ou telle pensée, on mettra tel ou tel mot au commancement ou à la fin et l'on dira, par exemple  :

Misera mater orationibus Deo filii sanitatem rogabat

ce qui se traduira par :

Misera mater (la) malheureuse mère
orationibus (par ses) prières
Deo (a) Dieu
filii (de son) fils
sanitatem (la) santé
rogabat demandait

On voit immédiatement que l'ordre logique n'est plus respecté, et qu'un certain nombre de mots, comme "la", "par ses", "à", "de son", etc., mis entre parenthèses, paraissent n'être pas représentés, ou, du moins, ne figurent pas dans la phrase latine.

Pour rajouter encore à la difficulté, prenons l'exemple suivant :

Legatus mittit servum

qui se traduit par

Legatus (le) légat
mittit envoie
servum (le) serviteur

Les trois mots latins ci-dessus peuvent entrer dans six combinaisons différentes :

Legatus mittit servum Servum mittit legatus
Mittit legatus servum Legatus servum mittit
Servum legatus mittit Mittit servum legatus

mais quel que soit cette combinaison, le sens général est le même: "(le) légat envoie (le) serviteur" (ou encore "un légat envoie un serviteur" ou "son serviteur").

Il y a donc lieu de se demander comment on peut se reconnaître dans cet amas confus de termes audacieusement mélangés: où se trouve le sujet du verbe, le complément d'objet direct, etc. ?

C'est qu'en réalité les Latins usaient d'un procédé qui nous sert encore pour les verbes. Même en l'absence du pronom, nous distinguons à première vue les personnes et les temps des verbes par leurs terminaisons. Si nous lisons par exemple: Aimerons, aimait, aimeraient, nous voyons immédiatement que nous avons affaire, pour le premier mot, à la première personne du pluriel du futur du verbe aimer, etc.

De même en latin, le substantif (qui qualifie le verbe) et l'adjectif (qui qualifie ou détermine le substantif auquel il est joint) prenaient des terminaisons différentes suivant le rôle qu'ils jouent dans la phrase. Il existe une terminaison spéciale pour le sujet, une autre terminaison pour le complément d'objet direct, deux autres pour les compléments d'objets indirects, etc. Cette terminaison spéciale s'appelle le "cas".

Prenons un exemple concret: Si je dis « la rose embaume », j'emploierai la forme normale, rosa, qui veut dire la rose, car, ici, rosa est sujet du verbe.

Mais si je dis « J'aime la rose », je mettrai rosam, qui indique que rosa est devenu complément d'objet direct.

En latin, « J'aime la rose » se dit Amo rosam, mais il n'y a aucun inconvénient à dire Rosam amo, puisque, dans ces conditions, personne ne saurait se tromper sur la nature du mot rosam dont la terminaison indique le rôle de complément d'objet direct.

Les déclinaisons latines

A côté des conjugaisons, il existe donc en latin un ensemble analogue portant le nom de Déclinaisons et qui sert pour les substantifs, les adjectifs et les pronoms (ces derniers qui tiennent la place d'un nom et qui en prennent le genre et le nombre).

On compte 5 déclinaisons différentes (pour les substantifs), comportant chacune 6 cas qui ont reçu les noms suivants: Nominatif, Vocatif, Génitif, Accusatif, Datif, Ablatif.

Le type de la première déclinaison est rosa (la rose).

Voyons d'abord les différentes terminaisons que ce mot peut prendre au singulier :

NOMINATIF désigne le nom Rosa on l'emploie pour le sujet du verbe ou pour l'attribut
VOCATIF vient de vocare (appeler) Rosa répond à nos substantifs précédés de l'apostrophe ô. Ici: ô rose !
GENITIF indique le complément d'un nom Rosae rapelle le cas possessif anglais représenté par une apostrophe suivit d'un "s" ('s). En latin, « l'odeur de la rose » se dit Odor rosae
ACUSSATIF désigne le complément d'objet direct d'un verbe Rosam comme dans « J'aime la rose » : Amo rosam
DATIF indique le complément d'objet indirect répondant à la question : à qui, à quoi ? Rosae J'attribue cette odeur, à quoi ? à la rose. Ici, la terminaison est la même que celle du génitif. C'est donc la tournure générale de la phrase qui indiquera le cas à choisir
ABLATIF indique encore un complément d'objet indirect du verbe, mais qui, cette fois, répond à la question : de qui, de quoi ? par qui, par quoi ? Rosa Cette odeur émane de quoi ? de la rose.

Dans le dernier cas, vous voyez que le "de" n'a pas le même sens que dans « l'odeur de la rose », qui veut rosa au génitif : soit rosae.

On peut voir que, parfois, certains cas se ressemblent, par exemple, le nominatif et le vocatif, le génitif et le datif: c'est alors le contexte de la phrase qui guide le traducteur. De même, le nominatif de rosa ressemble à première vue à l'ablatif, mais, dans ce dernier cas, le a final est long. Les anciens auteurs l'indiquaient par un accent circonflexe (â), mais ce n'est plus le cas pour les documents médiévaux (chartes, minutes de notaires, etc.). Nous garderons donc la forme non accentuée. De même pour le génitif et le datif, nous préfèrerons ae plutôt que la forme authentique æ.

Construction de la phrase latine au moyen de la déclinaison.

Lorsqu'on sait par coeur les cinq déclinaisons, il est facile de faire la construction logique d'une phrase. Ainsi pour la phrase que nous avions donné plus haut :

Misera mater orationibus Deo filii sanitatem rogabat

elle sera disséquée de la façon suivante :

Misera mater (la) malheureuse mère Nominatif : sujet du verbe
rogabat demandait Verbe
sanitatem (la) santé Accusatif : complément d'objet direct de rogabat
filii (de son) fils Génitif : complément du mot précédent
Deo (à) Dieu Datif : complément d'objet indirect du verbe, qui répond à la
question : a qui ? A Dieu
orationibus (par ses) prières Ablatif pluriel : complément d'objet indirect du verbe, qui répond
à la question : par quoi ? Par ses prières

Toutes les phrases latines ne renferment pas nécessairement des substantifs et des adjectifs représentant tous les cas au complet; l'exemple précédent n'a été placé là que pour vous faire comprendre le mécanisme du latin et la différence essentielle entre cette langue ancienne et la nôtre.

Remarquons que, si la place des sujets, verbes et compléments est souvent laissée au bon plaisir du narrateur, on peut cependant indiquer certaines habitudes chères aux auteurs latins.

En général, le sujet est au commencement de la phrase; le complément, avant le mot complété; et le complément d'objet indirect, avec ce qui s'y rapporte, avant le complément d'objet direct.

De toutes manières, pour la traduction, il est nécessaire de rechercher les termes de la phrase suivant l'ordre logique usité dans la langue française. Ce ne sera qu'après cette construction rationnelle qu'on pourra se permettre, dans la phrase traduite en français, certaines inversions admises même chez nous et qui serreront le texte latin de plus près.

La suite Samedi 27 septembre


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