Arisitum

L'ARCHEOLOGIE EN ALSACE (1992)
BILAN ET RESULTATS

(Bas-Rhin, Haut-Rhin)


Source: "Bilan Scientifique 1992", Ministère de la Culture et de la Communication, Direction Régionale des Affaires Culturelles d'Alsace, Service Régional de l'Archéologie, 1994, pages 5 à 9.


Bilan et orientations de la recherche archéologique (de François PETRY, Conservateur Régional)

L'année 1992 apparaît caractérisée par une importante progression du nombre des opérations de terrain, particulièrement sensible dans le domaine des sondages-prospections et dans celui des sauvetages. L'examen de la répartition géographique des interventions met en évidence un rééquilibrage entre les deux départements alsaciens, dû à un investissement de temps et de moyens plus important dans le Haut-Rhin. Quantitativement les périodes anciennes apparaissent toujours assez fortement défavorisées : l'année a cependant été marquée par la découverte exceptionnelle d'un site - le plus important connu jusqu'à présent dans une large région - du Paléolithique moyen à Mutzig (Bas-Rhin); d'autres découvertes importantes sont à signaler aussi, d'entrée, pour la Protohistoire (Nordhouse) ou les Temps Modernes (Lalaye).

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Recherche

Si les moyens directs de la recherche programmée n'ont pas augmenté de façon importante, les deux thèmes forts, axes traditionnels de la recherche régionale, les châteaux et les mines (respectivement surtout pour le Moyen Age et les temps Modernes) ont fait mieux que se maintenir, ceci en relation avec des demandes ou sollicitations extérieures à la seule préoccupation de recherche programmée.

II faut se réjouir de l'essor pris par les travaux de relevé et de fouille préalables à l'intervention des Monuments Historiques. Au château de Lichtenberg, qui avait fait l'objet d'une analyse développée du bâti (sous le contrôle de M. R. Guild de l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg), des opérations complémentaires se sont encore greffées sur une opération programmée. Le château de l'Engelbourg de Thann a aussi pu faire l'objet d'un diagnostic archéologique important, demandé par M. P. Ponsot, architecte en chef des Monuments Historiques, dans le cadre de l'étude préalable. On relèvera également la poursuite des opérations en liaison avec les Monuments Historiques sur d'autres châteaux (Wangenbourg, Petit-Koenigsbourg).

L'existence d'un groupe collectif de recherche sur les châteaux du Nord-Est de la France, auquel nombre de chercheurs régionaux participent activement, a eu un rôle à la fois fédérateur et dynamiseur. Certains thèmes de recherche ont atteint un niveau de connaissance déjà satisfaisant (domaine de l'alimentation en eau des châteaux) ; d'autres travaux sont entrepris (typo-chronologie des céramiques et autres mobiliers), i! y a lieu de les encourager. En collaboration avec le Parc Naturel Régional des Vosges du Nord, la réalisation d'un corpus iconographique des châteaux a été entamée.

L'effet d'entraînement déjà ancien dans le domaine de la recherche minière continue de jouer. Les mines anciennes sont devenues de plus en plus un enjeu touristique (et politique) assez considérable. Les vallées vosgiennes ont perdu leurs industries (mono-industrie textile quasi-disparue), le tourisme et notamment la formule de parcs d'attraction, fondées sur les mines anciennes, apparaissent aujourd'hui comme des solutions viables pour les vallées.

Un projet de création de '"parc minier" dans le Val de Lièpvre, dit Val d'Argent, est en train de prendre corps, il a stimulé encore davantage la recherche et la réflexion ; des antagonismes sont aussi apparus. Par ailleurs, des atteintes multiples aux sites miniers, causées principalement par des collectionneurs de minéraux, nécessitent des interventions de sauvetage urgent. il est donc important que des équipes d'archéologues miniers de bon niveau continuent d'être disponibles. La démonstration de la nécessité de cette disponibilité a été faite à l'occasion de la découverte spectaculaire et remarquable d'un système d'exhaure en bois du XVIIème siècle, quasi-intégralement conservé sur plusieurs dizaines de mètres de hauteur, à Lalaye.

La recherche archéologique minière fonctionne dans le cadre d'un groupe collectif interrégional du programme H 3; une Fédération "Patrimoine Minier" regroupe la plupart des équipes qui travaillent sur le massif vosgien. La tradition de recherche ancienne fait que les équipes impliquées sont globalement de bon niveau. Des chercheurs liés à l'Université technologique de Compiègne-Sévenans jouent un rôle appréciable.

Des interventions sur des établissements religieux ont été réalisées, préalablement ou parallèlement à des travaux effectués par les Monuments Historiques : ainsi aux Dominicains de Guebwiller (programme important de réhabilitation du couvent par le Département du Haut-Rhin), à Saint-Matthieu de Colmar, à Baldenheim (où la disposition d'une remarquable nécropole nobiliaire a pu être observée et maintenue à la demande des archéologues).

Une demande de la municipalité a permis d'effectuer des observations sur les phases récentes de l'importante abbaye de Munster. II y a lieu de souhaiter encore plus de concertation préalable entre services et aménageurs pour que les opérations indispensables (étude du bâti, observations effectivement préalables aux travaux) puissent être davantage prises en compte, tant du point de vue des moyens que du point de vue de la programmation des travaux.

En milieu urbain, une opération mobilisant des effectifs et des moyens importants a eu lieu à Strasbourg, dans le cadre des travaux préalables à la remise en place du Tramway (tunnel, déplacement de réseaux) et à l'extension d'un parking souterrain : malgré des contraintes importantes de tout ordre (programmation, sécurité), des résultats fort appréciables ont pu être obtenus pour la connaissance du site de la ville, des débuts de l'occupation romaine, des occupations médiévales. De façon plus générale, on relève pour l'année en cours, un "renouveau" du gallo-romain, ceci principalement dans le cadre de travaux touchant d'anciens sites urbains : particulièrement à Strasbourg-Koenigshoffen, à Niederbronn (partie de thermes monumentaux), à Horbourg-Wihr (extension de la localité romaine vers le nord).

Des prospections et découvertes fortuites (Grussenheim par exemple) mettent en évidence la nécessité accrue de développer une recherche, disposant de moyens, sur des établissements romains progressivement détruits par les façons culturales en milieu rural. Les villas, grandes demeures et autres établissements ruraux restent fort mal connus dans la région, alors que, relativement, la connaissance des vici a bien davantage progressé au cours des dernières décennies.

D'autres sites menacés sont les tertres, où malgré des mesures de protection formelle, il est difficile de freiner la dégradation. Des contacts sont en cours avec le Conservatoire des Sites Alsaciens pour que la protection au titre de la loi de 1913, soit doublée par une protection des biotopes qui permettra de mieux contrôler les formes d'exploitation. Les fouilles en cours sur des tertres très arasés (cas de Nordhouse particulièrement) mettent en évidence que des observations menées dans des conditions satisfaisantes fournissent des résultats d'importance. Mais là aussi, des moyens accrus pour la recherche seraient indispensables (pour que les opérations puissent être menées dans de meilleurs délais, que le post-fouille puisse être développée à l'instar de ce qui peut être fait dans le cadre de fouilles préventives).

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Carte archéologique

La mise en place, à partir de mai 1992, de moyens financiers nationaux - qui restent encore mesurés cependant - a permis de donner un tout nouveau départ à la Carte archéologique. La vérification des sites précédemment inventoriés a pu être entreprise, une normalisation des dossiers (extrait de carte au 1/25000e par commune, avec localisation précise des sites, de plus fiche manuelle par site) a été réalisée. De nouveaux sites ont été intégrés, particulièrement pour Strasbourg, où en plus de sites précédemment retenus, il a été possible de disposer de la documentation complétée et contrôlée dans le cadre d'un D.E.P.A.U. La progression d'une année à l'autre a été d'un millier de sites.

Les objectifs sont d'obtenir des concours complémentaires (pour le moment sans succès auprès des grandes Collectivités), de compléter, réciproquement, les dépouillements faits par le Service Régional de l'Archéologie et le Service Départemental d'Archéologie du Haut-Rhin, enfin d'entreprendre, au-delà des contrôles bibliographiques et cadastraux, des vérifications sur le terrain. Des contrôles sont programmés dans plusieurs secteurs : à titre d'échantillonnage sur un canton de la bordure vosgienne, celui de Niederbronn-les-Bains (en collaboration avec la Maison de l'Archéologie de ce chef-lieu de canton), également sur divers secteurs menacés par des travaux divers qui devraient être prioritaires (tracé du TGV-Est par ex., et aussi zones riches en tumulus).

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Protection, diffusion

Dans la ligne de protections demandées au cours des années précédentes, le Service Régional de l'Archéologie a demandé la protection de vestiges encore conservés dans le sol sur le site de l'abbaye de Munster ; il s'est aussi associé activement à l'opération de protection de l'enceinte de ville encore relativement bien conservée de Wangen. Dans la même ville, il y aura aussi lieu de transformer en "réserve archéologique" le site de l'ancien château central, de plan polygonal, dont des vestiges sont préservés sous des jardins susceptibles d'urbanisation. Les études d'enceintes de villes particulièrement nombreuses en Alsace (quelque 70), initiées à Bergheim et à Wangen dans le cadre d'une collaboration avec les Monuments Historiques, devraient être parachevées et multipliées au cours des prochaines années.

Les activités d'animation et de diffusion ont été multiples : journées consacrées spécifiquement aux thèmes forts des mines et des châteaux, conférences, etc. Parmi les expositions, on relèvera celle consacrée aux trouvailles préhistoriques de l'année précédente à Rosheim, et enfin l'exposition de l'"Année de l'Archéologie", "Vivre au Moyen Age - 30 ans d'archéologie médiévale en Alsace", remontée en Allemagne, à Spire. L'important catalogue de plus de 500 pages a été intégralement traduit en allemand, l'exposition a ouvert ses portes le 25 septembre et le succès auprès du public a été immédiat.


Résultats scientifiques significatifs

67 - Mutzig

A la sortie de la gorge de la Bruche, des travaux d'aménagement d'une terrasse de quelques mètres carrés ont permis la mise au jour du site le plus important sur le plan régional du Paléolithique moyen. Ce site, nettement stratifié, a livré un très abondant mobilier (plus d'un millier de pièces lithiques, une faune intéressante et variée).

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68 - Burnhaupt-le-Bas "Spechbachstraeng"

Une fosse contenant un lot important d'éclats de débitage a permis de dater cet habitat-atelier connu depuis une dizaine d'années à la suite de prospections de surface. Elle se présente sous la forme d'un fond de silo tronconique et a livré un matériel attribuable au groupe post-roessénien de Bruebach-Oberbergen (4500-4200 avant J.-C.).

67 - Nordhouse "Buerckelmatt"

La fin de la fouille de la nécropole hallstattienne a été marquée par la découverte dans le tertre IV d'une sépulture prestigieuse qui se distinguait des sépultures voisines du même tertre par sa position centrale et surtout par la richesse et l'abondance de la parure funéraire. La défunte portait notamment des boucles d'oreilles et des épingles de coiffure en or, un grand pectoral et des bracelets de coquillages, corail, jais et verre.

67 - Rosheim "Mittelfeld"

Ce site a notamment livré, sur 5000 m2, les vestiges d'un habitat de la Tène ancienne qui comporte des habitats semi-excavés de type "fond de cabane" et des silos. Plusieurs ensembles céramiques d'importance en font d'ores et déjà une référence au niveau de la Plaine du Rhin Supérieur.

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Les fouilles de bourgades ou de villes ont livré d'abondantes informations; on relèvera les trouvailles de Strasbourg, Bourgheim, Horbourg, Sierentz, Niederbronn et Saverne.

67 - Strasbourg-ville

Les fouilles préalables à l'installation d'un tramway à Strasbourg ont fourni une abondante moisson : découverte de nouveaux fossés romains, d'une épaisse occupation romaine (abords de l'Homme de Fer), informations nouvelles sur l'enceinte de la ville du XIIIème siècle, surtout des fossés médiévaux (Fossé des Tanneurs).

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67 - Strasbourg "Gymnase Sturm"

Des sondages en vue d'un diagnostic ont touché le rempart romain du grand camp légionnaire {front nord-ouest) et la via sagularis. Un remaniement d'époque carolingienne a été observé. Par ailleurs, a été mis au jour un système de chauffage de l'ancien couvent des Dominicains.

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67 - Strasbourg-Koenigshoffen

De nouvelles opérations ont apporté d'intéressants renseignements sur l'antique vicus des canabae. A l'angle de la rue des Petites Fermes et de la rue des Comtes, on a reconnu la bordure nord d'une insula : les vestiges d'habitats des IIème et IIIème siècles, de faible densité, respectent le plan orthogonal organisé à partir de la voie décumane, l'actuelle route des Romains ; rue des Comtes, les travaux d'un autre chantier, situé au nord-est du précédent, ont touché deux petites nécropoles - l'une à incinération, du 1er siècle, l'autre à inhumation, du IVème siècle. Une autre nécropole a été découverte rue de l'Engelbreit, au nord-ouest du vicus; elle confirme que le secteur funéraire antique s'étendait sur une large bande de terrain à l'arrière des habitations.

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67 - Bourgheim

Dans ce vicus artisanal, qui a déjà livré beaucoup de vestiges d'installations de potiers des 1er et IIème siècles, la réalisation d'une nouvelle tranche de lotissement a permis de situer une rue et des caves maçonnées d'habitations, et de préciser l'organisation spatiale de l'agglomération.

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68 - Horbourg-Wihr

Un diagnostic archéologique, réalisé à 500 m à l'ouest du castrum de l'Antiquité Tardive, a touché une voie romaine et des bâtiments bordant cette voie. Cette intervention a mis en évidence une extension bien plus importante du vicus antique d'Argentovaria qu'attendue.

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68 - Sierentz

Les fouilles effectuées en fin d'année ont permis de découvrir deux nouvelles maisons appartenant à l'agglomération du Néolithique ancien (Rubané) ; l'occupation dès l'époque gallo-romaine précoce de même que l'extension du vicus vers l'ouest ont été confirmées.

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67 - Niederbronn-les-Bains

Un diagnostic préalable au projet immobilier "Les Cybéliades", au centre ville, a eu pour effet la mise au jour de vestiges d'un établissement thermal gallo-romain monumental. Des traces d'une occupation carolingienne ont également été détectées.

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67 - Saverne "Usspann"

Les fouilles programmées de l'établissement romain de l'Usspann ont mis en évidence une phase ancienne d'occupation en pans de bois et la présence de restes de métallurgie.

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Des opérations nombreuses ont été réalisées en relation avec des Monuments Historiques. Plusieurs interventions ont ainsi eu lieu dans des établissements religieux (Colmar - les Dominicains, les Franciscains -; Guebwiller - les Dominicains; Baldenheim - église paroissiale -; Munster et Marmoutier, anciennes abbayes bénédictines}.

Les fouilles programmées ont porté, comme les années précédentes, principalement sur les mines et les châteaux.

La recherche minière s'est intéressée particulièrement aux installations situées en aval de l'extraction (nouvelles découvertes à Sainte-Croix et à Sainte-Marie-aux-Mines). Il faut relever tout particulièrement la découverte en sauvetage à Lalaye {68} de toute une machinerie d'exhaure en bois {XVIIème siècle) conservée sur plusieurs dizaines de mètres de hauteur.

Une partie des fouilles de châteaux a été faite en relation avec les travaux Monuments Historiques : ainsi à l'Engelbourg de Thann, à Wangenbourg et à Lichtenberg.

Des informations de grand intérêt ont été obtenues : connaissance des systèmes d'entrée à Thann et à Wangenbourg, mise au jour du donjon carré du début du XIIIème siècle à Lichtenberg.


Introduction