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L'ARCHEOLOGIE EN ALSACE (1994)
BILAN ET RESULTATS

(Bas-Rhin, Haut-Rhin)


Source: "Bilan Scientifique 1994", Ministère de la Culture et de la Communication, Direction Régionale des Affaires Culturelles d'Alsace, Service Régional de l'Archéologie, 1996, pages 7 à 10.


Bilan et orientations de la recherche archéologique (de François PETRY, Conservateur Régional)

Les données chiffrées de 1994 confirment le mouvement ascendant du nombre d'opérations, ce mouvement croissant étant continu depuis plusieurs années. Le mode de fonctionnement a, comme annoncé en 1993, évolué : l'examen des fouilles programmées, mais également celui d'un certain nombre de fouilles urgentes se font dans le cadre de la CIRA de l'Est (Commission interrégionale de la recherche archéologique) qui siège à Dijon ; cette même commission assure l'examen a posteriori des opérations. Par ailleurs, l'implication de l'AFAN (Association pour les fouilles archéologiques nationales) est de plus en plus marquée dans les fouilles régionales, comme on le précisera encore, ci-dessous.

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Recherche

Quelques grandes lignes peuvent être tirées des tableaux statistiques que l'on peut établir à l'issue de l'année.

La répartition géographique du nombre d'opérations montre un petit décalage entre les deux départements (toutes opérations confondues, y compris celles qui se sont soldées par un résultat négatif : 55 pour le Bas-Rhin, 48 pour le Haut-Rhin). Mais cette disparité n'est qu'apparente, la surface du département et le nombre des communes du Haut-Rhin étant inférieurs à ceux du Bas-Rhin. On peut considérer que l'activité a été au moins équivalente dans le Haut-Rhin.

Les interventions dans le Bas-Rhin étaient jusqu'ici assez nettement plus nombreuses, parce que les opérations en milieu urbain (avec Strasbourg comme "poids lourd") étaient plus fréquentes ; dans le Haut-Rhin, elles étaient longtemps à dominante rurale. Or, en 1994, les opérations d'archéologie urbaine se sont multipliées aussi dans le Haut-Rhin : un certain nombre d'entre elles portait sur des immeubles protégés au titre des Monuments Historiques. Dans une perspective plus lointaine, il y a certainement lieu de développer bien davantage encore les interventions courantes en milieu urbain, particulièrement dans le Haut-Rhin (pour le moment, elles ne sont relativement régulières qu'à Colmar).

En recherche programmée, le nombre d'opérations s'est maintenu. Les axes forts de la recherche régionale restent les mêmes : quatre opérations portent sur les châteaux, en grande partie en relation avec des travaux menés par les Monuments Historiques, il est vrai aussi qu'un groupe collectif de recherche portant sur les châteaux impulse aussi dans ce domaine une dynamique importante.

Dans le domaine de l'archéologie minière, on note que le nombre d'opérations s'amenuise progressivement, certains projets touchant à leur fin. On saluera avec intérêt l'intervention attendue de l'Université et du CNRS : ainsi à Ottrott, au Mont Sainte-Odile, préalablement à des travaux de Monuments Historiques portant sur le Mur Païen. Cette dernière opération relève cependant, pour un bon développement, de paramètres qui échappent à l'archéologie (réticences de propriétaires, retard d'engagements financiers de certains partenaires). Un conservateur du service régional de l'archéologie, détaché au CNRS, est intervenu également au titre de cet organisme.

Les organismes intervenants sont multiples : la participation de l'Université (plusieurs universités s'étant retrouvées sur 1e projet du Mur Païen) notamment a été soulignée ; la part de l'AFAN a été fortement augmentée passant de 10 opérations en 1993 à près de quelque 25 en 1994. Les opérations les plus nombreuses restent cependant réalisées par des bénévoles : un concours de circonstances (opérations, y compris de diagnostic, multipliées, proximité de certaines associations), mais aussi la disponibilité et la qualité des équipes comme celles d'individus (dans le sud du Haut-Rhin, les vallées vosgiennes, et la région de Saverne, par exemple) expliquent une augmentation très nette de la part des associations et bénévoles.

Le service départemental de l'archéologie du Haut-Rhin a assuré sa part d'opérations de terrain (intervention, entre autres, dans le couvent des Dominicains de Guebwiller). Malgré les charges administratives, la participation du service régional de l'archéologie s'est maintenue au-dessus de 20 opérations (une prospection thématique importante et de nombreux diagnostics).

Les opérations de sondages (le plus souvent des diagnostics) et de sauvetages urgents ont représenté plus de 80% des interventions de l'année. La représentation relative des périodes a assez sensiblement varié d'une année (1993) à l'autre (1994) : la période gallo-romaine se maintient à un haut niveau avec quelques 25 opérations : ce niveau assez élevé est lié à des interventions, préalables à des opérations de constructions, chaque fois sur plusieurs secteurs, dans des bourgades romaines, comme Strasbourg-Koenigshoffen et Horbourg-Wihr. Le néolithique et le médiéval ont doublé à plus que doublé (passant de 16 à 33 pour la dernière époque). On observera également une assez forte progression des résultats négatifs (d'une petite demi-douzaine à près d'une quinzaine).

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Carte archéologique

La carte archéologique a bénéficié, en personnel, d'un chargé d'études pendant neuf mois, d'une technicienne de traitement de données à 3/4 temps sur l'année, d'une vacataire CES pendant huit mois à mi-temps.

L'effort a porté majoritairement sur le département du Haut-Rhin : ce département a multiplié les schémas d'aménagement (SDAU) portant sur des groupements de cantons, et sollicité, pour ce faire, des informations du service régional de l'archéologie.

Par ailleurs, le service archéologique de ce département travaillait depuis plusieurs années déjà sur des données bibliographiques et avait entrepris, par prospection aérienne, la détection des sites (vérification des sites anciens, détection de très nombreux sites nouveaux), ceux-ci étant bien localisés.

Une coopération étroite (échanges permanents d'informations et consultations entre M. Martin Ehretsmann, chargé d'études et M. Jean-Jacques Wolf, archéologue départemental) a permis de réviser quelque 270 communes sur les 377 que compte le département du Haut-Rhin et de créer plus de 800 fiches nouvelles de sites pour ce seul département.

Pour les deux départements, les créations et mises à jour de l'année ont représenté plus de 1500 sites. En décembre 1994, la base de données centrale (DRACAR) atteignait 4948 sites ou indices de sites.

Les perspectives suivantes se dessinent : l'achèvement de l'analyse des communes du département du Haut-Rhin pour le printemps 1995 ; l'intégration dans la carte d'un inventaire spécifique, celui des haldes et entrées de mines {médiévales et modernes) entreprise à l'instigation du Parc Naturel des Ballons des Vosges. L'effort devrait ensuite porter à nouveau sur le Bas-Rhin.

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Diffusion, communication

Plusieurs actions de communication ont été menées dans le cadre du service régional de l'archéologie ou ont reçu l'appui du service.

Des expositions archéologiques ont eu lieu ainsi à Niederbronn-les-Bains (présentation des fouilles de Lichtenberg) et à Effringen-Kirchen (présentation de Kembs). Les développements de l'archéologie liée aux travaux du Tramway à Strasbourg ont permis de trouver des moyens pour une exposition plus importante, réalisée en collaboration avec les musées de Strasbourg (Musée Archéologique) : le sujet a été élargi aux fouilles intra-muros de Strasbourg de la décennie passée ; un catalogue "Strasbourg, 10 ans de fouilles" a été édité.

Une journée archéologique régionale a été organisée en juin à Biesheim (Haut-Rhin) : elle a regroupé quelque 140 participants (y compris des chercheurs d'Allemagne et de Suisse). D'autres journées spécifiques ont été organisées dans la région : ainsi à Sainte-Marie-aux-Mines, la journée nationale H 3 regroupant les archéologues-miniers ou encore, à Saverne, une table-ronde sur les châteaux (échanges sur le "mobilier architectural").


Résultats scientifiques significatifs

A Mutzig (Bas-Rhin), le site du Paléolithique moyen s'étage, d'après la prospection en cours, sur une partie importante du versant exposé au sud. Le matériel lithique trouvé lors de sondages de contrôle dans des gisements stratifiés est toujours fort abondant. La phase 1a plus haute paraît correspondre à un Moustérien ancien.

Des résultats intéressants portant notamment sur des périodes du Néolithique jusqu'ici peu représentées en Alsace ont été obtenus sur plusieurs sites.

A Colmar Houssen (Haut-Rhin), sur la bordure ouest d'une carrière, 4 hectares ont été étudiés: cette fouille préventive a permis de reconnaître plus de 350 structures excavées (fosses, trous de poteaux, puits à eau) et lambeaux de sol en place. Par sa situation dans le bassin inondable de l'Ill, le secteur concerné était considéré jusqu'à présent comme parfaitement impropre à l'occupation. Or les fouilles effectuées ont bouleversé totalement cette appréciation, offrant des perspectives nouvelles à l'étude de l'occupation du sol. Six phases se sont succédé sur le site, entre 3500 av. J.-C. et le 1er siècle ap. J.-C. (Munzingen, Bronze final I, Hallstatt C, La Tène ancienne, La Tène finale, Gallo-romain). L'existence de lambeaux de sol en place d'époque Munzingen, la présence de puits à eau du Hallstatt C (cuvelages bien conservés), la densité des structures de La Tène finale (fosses, bâtiments, greniers, fossés de parcellaires) constituent les points marquants de l'opération.

Un site similaire a été découvert à Holtzheim (Bas-Rhin) : 77 fosses et silos ont été découverts sur 8 000 m2 installés sur la bordure septentrionale du plaquage loessique de Lingolsheim, sur les marges duquel divers sites néolithiques (Rubané, Gross-Gartach, Michelsberg, Epi-Roessen) avaient déjà été reconnus. La quasi-totalité des structures de Holtzheim relèvent des phases III et IV du Michelsberg et du Munzingen B assez remarquablement représenté. Les groupements de structures indiquent une organisation spatiale. Le mobilier est riche (plats, bouteilles, jattes carénées, vases à provisions). Une occupation laténienne plus discrète a également été notée (2 fosses et 1 puits). Les périodes de Roessen et Munzingen étaient représentées par une vingtaine de fosses également sur le site de Niedernai, évoqué plus loin.

Des fouilles programmées ont porté sur l'enceinte du Hexenberg de Leutenheim (Bas-Rhin) où l'occupation attestée est datée principalement du Bronze final et du Hallstatt C et sur celle du Mur Païen du mont Sainte-Odile à Ottrott (Bas-Rhin), où une intervention archéologique précède les travaux de consolidation et de restauration des Monuments historiques. Sur ce dernier site, des résultats neufs ont été obtenus dans le domaine des techniques architecturales mises en oeuvre, mais la datation définitive du Mur Païen n'a encore pu être établie.

A Strasbourg-Koenigshoffen, quatre chantiers ont permis de faire de nouvelles observations sur l'occupation de l'agglomération gallo-romaine.

Dans un des secteurs étudiés, route des Romains, une insula située en bordure de la voie décumane avait été, au 1er siècle, affectée à la fonction de nécropole. Des tombes à incinération ont été recueillies, ainsi qu'une stèle ornée du portrait d'un vétéran de la IIème légion ; elle avait été enterrée dans une fosse pour permettre l'implantation de l'habitat à partir du IIème siècle.

Dans un autre secteur, rue du Donon, ont été observées de nouvelles voies en gravier appartenant au réseau orthogonal antique.

Rue des Capucins, à l'extrémité ouest du vicus, les vestiges fouillés sont attribuables à des installations de la tuilerie de la VIIIème légion. Dans ce chantier, comme dans un chantier voisin, le niveau gallo-romain recouvrait un site hallsttatien, dont subsistait une série de fosses creusées dans le loess.

Place Haslinger à Colmar (Haut-Rhin), des fouilles préventives sur l'emplacement d'une future maison de retraite ont mis au jour, sous les niveaux du cimetière du XIVème au XVIIIème siècle, un important ensemble de sépultures mérovingiennes (VIème siècle principalement) qui ont livré un intéressant mobilier : armement, céramique et verre.

A Niedernai, les travaux d'aménagement de la voie rapide du piémont des Vosges ont entraîné la découverte d'un site néolithique et de vestiges du couvent bénédictin de la "Feidkirch". Les ruines de l'église et des bâtiments conventuels ayant servi de carrière de pierre au XIXème siècle, il ne subsistait plus que les tranchées de fondations. Le cimetière comprenait des tombes du Xème siècle (coffres en pierre) au XVIIIème siècle; une sépulture contenait la parure de coquilles d'un pèlerin de Saint-Jacques.

A Strasbourg-centre, square Botzaris, à proximité de l'ancienne porte des Juifs, des travaux de voirie ont mis au jour le mur d'enceinte de 1220 et des vestiges de la cave d'un bâtiment du XVème siècle.

Au musée historique, les sondages destinés à l'étude du sous-sol dans le cadre de la restauration du bâtiment ont révélé que l'Ancienne Boucherie est installée sur des remblais de berges dont les épais dépôts d'ossements d'animaux attestent la présence d'un abattoir antérieur.

La surveillance archéologique a permis de constater également que l'actuel bâtiment en U s'ouvrait au sud sur l'Ill: un escalier aménagé sur toute la largeur de la cour descendait jusqu'à la rivière.

Parmi les fouilles de châteaux, on citera la mise en évidence d'un état inconnu de la fortification à Wangenbourg (Bas-Rhin) et la découverte d'éléments (deux bulles papales) pouvant signaler la présence de l'ancienne chancellerie épiscopale au château du Haut-Barr à Saverne (Bas-Rhin).


Introduction