Arisitum

L'ARCHEOLOGIE EN CHAMPAGNE-ARDENNE (1991)
BILAN ET RESULTATS

(Ardennes, Aube, Marne, Haute-Marne)


Source: "Bilan Scientifique 1991", Ministère de la Culture et de la Communication, Direction Régionale des Affaires Culturelles de Champagne-Ardenne, Service Régional de l'Archéologie, 1992, pages 6 à 8.


Bilan et orientations de la recherche archéologique (de Alain VILLES, Conservateur en chef)

Un constat s'impose: l'absence de commune mesure entre les moyens dont bénéficie la recherche censée être "fondamentale", c'est-à-dire les fouilles programmées et ceux attribués aux sauvetages, en particulier dans les "grands travaux" (autoroutes A26 et A5). Les premières émargent sur une enveloppe de l'État qui n'a guère évolué depuis une dizaine d'années. Les secondes sont financées par le truchement d'obligations réglementaires (code de l'urbanisme, circulaires mixtes), qui assurent la prise en charge des fouilles en amont des travaux destructeurs (ce qui constitue une sorte d'hypothèque archéologique) par les aménageurs eux-mêmes, le cas échéant avec l'aide de l'Etat.

Les fouilles programmées, qui concernent un patrimoine en principe non menacé, pour lesquelles on doit "prendre son temps", qui sont soumises à un contrôle vigilant, voire tatillon, des autorités scientifiques, sont environ 100 fois moins pourvues de moyens que les sauvetages programmés, alors qu'elles sont 10 fois moins nombreuses. Les unes et les autres sont classées selon des programmes définis depuis longtemps et adaptés ou simplifiés depuis quelques années. On est censé choisir dans cette palette, pour orienter la recherche fondamentale, alors que les programmes s'imposent comme une simple nomenclature, au niveau des fouilles de sauvetage.

La recherche archéologique champenoise s'oriente donc désormais et d'une manière croissante en fonction de la conjoncture ou de l'opportunité des travaux et de l'aménagement du territoire beaucoup plus que du choix de priorités scientifiques ou thématiques, sur lesquelles, faute de moyens, les travaux programmés pèsent bien peu. A cela s'ajoute une réduction drastique du nombre des opérations et une sélection brutale de leurs responsables, notamment parmi les bénévoles, dans les années 85-90.

Cette situation n'est pas propre à la Champagne. On la retrouve à travers toute la France, sauf peut-être dans quelques régions du Midi où la concentration des chercheurs professionnels (CNRS, Université) génère une recherche programmée dense, "institutionnalisée" et plus largement pourvue de moyens que dans des régions comme la nôtre, où l'Université et le CNRS brillent par leur absence dans le domaine de l'archéologie.

On ne s'étonnera donc pas du déséquilibre thématique et chronologique qui caractérise les fouilles programmées en Champagne: la période médiévale y domine en nombre d'opérations, la protohistoire y garde une place non négligeable en moyens (mais non en nombre de fouilles) et la préhistoire, même au sens large, qui a perdu pied depuis longtemps et qui n'a connu (bien au contraire), aucun redressement entre 1987 et 1991, est purement absente. C'est d'autant plus paradoxal que la région est riche en sites néolithiques d'un grand intérêt. Quant à la période de l'Antiquité, elle est tout aussi délaissée que la Préhistoire.

L'équilibre thématique dans les recherches de terrain est donc assuré par l'apport massif, et largement nouveau dans le domaine rural, des fouilles dites "de grands travaux". Toutes les périodes sont représentées. La préhistoire, en particulier le Paléolithique, réputé (à tort) mal représenté en Champagne, y trouve d'ailleurs la seule occasion de travaux de grande ampleur impossibles autrement et même jusqu'ici inconnus dans la région.

Ce rééquilibrage par les "grands travaux" ne doit pas masquer la fragilité de la situation actuelle: caractère conjoncturel des grands tracés (au-delà du projet de TGV, il n'y en aura plus à implanter en Champagne), difficultés d'assurer cette politique, faute de textes fiables, au niveau des carrières, qui détruisent chaque année autant de site dans l'ensembles des 5 vallées alluviales champenoises qu'un tracé d'autoroute, dépendance des moyens par rapport aux capacités de négociation du service (effectifs, disponibilité, concurrence par rapport aux tâches d'étude, de préservation et d'inventaire du patrimoine archéologique) et à la conjoncture économique. En résumé, seule la recherche en milieu urbain est stable (c'est d'ailleurs la plus ancienne activité de sauvetage à grande échelle en région) et, on l'espère, en voie d'institutionnalisation.

Pour remédier à l'absence - c'est le mot qui convient - de programmation scientifique véritablement contrôlée de l'archéologie en Champagne, il faut donc oeuvrer dans plusieurs directions :

Ceci implique que les chercheurs, quel que soit leur statut (personnels d'Etat, contractuels, bénévoles) se rapprochent et participent à une réflexion commune.

Si la recherche archéologique en Champagne connaît un "bond en avant" sans précédent, grâce à la mise en place de moyens jusqu'ici inconnus et appelés à s'accroître encore, il importe que cette croissance se fasse sans trop de ruptures ou de secousses et que la programmation scientifique, premier moyen d'un contrôle cohérent, en soit homogène.


Résultats scientifiques significatifs (de Alain VILLES, Conservateur en chef)

En 1991, 86 opérations ont été autorisées en Champagne-Ardenne, dont 25 sondages préalables à des sauvetages ou associés à des prospections. Tous les sauvetages programmés se sont inscrits dans le cadre de grands travaux d'aménagement, dont une proportion importante (4 sur 5) en archéologie urbaine, à Troyes et Reims. Ces deux pôles d'activité ont poursuivi leur essor, avec d'importants résultats à Reims, où des données substantielles ont été recueillies sur l'évolution du tissu urbain entre le Haut et le Bas-Empire et sur celle des fortifications au début de leur histoire, tandis qu'à Troyes, les acquis concernent plutôt la période médiévale.

Les fouilles programmées se sont surtout concentrées sur la période médiévale. Elles demeurent limitées en nombre (8). La métallurgie dans l'Aube et la Haute-Marne ont fait l'objet de prospections exemplaires. Les travaux d'études de sites castraux se sont poursuivis dans les Ardennes (Vireux-Mohlain) et la Marne (Chavot). L'habitat rural gallo-romain est également concerné, aqueduc dans la Marne, villa dans l'Aube (Urville).

Les 48 sauvetages urgents représentent la part majeure de l'activité. Un grand nombre a concerné les grands tracés : A26 dans la Marne et l'Aube, A5 dans l'Aube avec des financements conséquents. Un bon équilibre thématique les caractérise: grands habitats protohistoriques (Saint-Gibrien, Saint-Pouange, Villemaur-sur-Vanne, Moussey), nécropoles celtiques (Luyères, Pâlis, Estissac), habitats gallo-romains et médiévaux (Moussey, Fontvannes, Laines-aux-Bois, Saint-Pouange). Les nécropoles du Haut Moyen Age sont plus rares (Pâlis).

C'est également aux grands tracés que l'on doit l'existence d'une activité en Préhistoire, avec un habitat du Paléolithique moyen et supérieur à Fontvannes, néolithique à Moussey et Saint-Léger, une minière de silex néolithique à Villemaur, un habitat de l'Age du Bronze à Estissac et Saint-Pouange. Les autres sauvetages, plus limités en surface, contribuent néanmoins à l'équilibre de l'information aussi bien au plan chronologique que géographique : archéologie urbaine à Langres, rurale (gallo-romain) à Andilly, étude de sanctuaires d'origine celtique se prolongeant à l'époque gallo-romaine à Mouzon et Chaumont, habitats et nécropoles protohistoriques (Acy-Romance), lieu de culte paléochrétien (Reims, Saint-Julien), souterrains-refuges (Louvois), occupations protohistoriques des vallées alluviales.


Introduction