Arisitum

L'ARCHEOLOGIE EN CHAMPAGNE-ARDENNE (1992)
BILAN ET RESULTATS

(Ardennes, Aube, Marne, Haute-Marne)


Source: "Bilan Scientifique 1992", Ministère de la Culture et de la Communication, Direction Régionale des Affaires Culturelles de Champagne-Ardenne, Service Régional de l'Archéologie, 1993, pages 6 à 11.


Avant-Propos (de Alain VILLES, Conservateur en chef)

Le Service régional de l'Archéologie vient de rattraper un gros retard en publiant début 95 l'ensemble des Bilans scientifiques des années 1991-1994.

Pour les archéologues champardennais, cette publication est une innovation importante, voire une surprise. Ce Bilan a pour objectif de fournir une information liminaire sur l'ensemble des opérations de terrain - fouilles programmées, sauvetages, sondages, prospections - réalisées dans l'année. Ce document annuel est délivré gratuitement aux principaux acteurs de l'archéologie, mais aussi à leurs partenaires et interlocuteurs: élus, aménageurs, bibliothèques, musées, administrations d'Etat ou territoriales. On ne s'étonnera pas de sa forme succincte et de son absence de prétention scientifique: il s'agit avant tout d'un compte-rendu d'activité. La chronique de Gallia permettra d'approfondir quelque peu cette information.

Dès avant la fin de 1990, date des dernières "assises régionales", la tradition des "journées archéologiques" a, hélas, commencé à se perdre. Du coup, l'information ne circule plus suffisamment bien. Les rapports entre le service et les chercheurs se font directement et individuellement. Les circulaires relatives aux fouilles programmées et les (nombreux) courriers personnalisés ne permettent pas de faire le point sur les actions en cours, les programmes, les résultats, le politique archéologique et la situation des uns et des autres. Il suffit donc que tel ou tel ne fouille pas une année, n'ait pas de découverte fortuite à déclarer, ou ne puisse participer à une opération de sauvetage, pour qu'il ne sache plus rien de l'activité archéologique régionale et ... se croie oublié de tous ou du service.

Des efforts seront nécessaires pour réunir à nouveau tout le monde, sous forme de journées régionales annuelles. Les prochaines seront organisées par le S.R.A. au début d'avril prochain. Ce sera l'occasion de faire le point, non seulement sur l'activité de terrain et de publication, mais aussi sur l'évolution du fonctionnement de l'archéologie.

Le cadre a en effet rapidement changé: fusion des directions des antiquités, renforcement de l'appareil réglementaire (notamment dans le cadre des directives européennes), développement de l'archéologie dite "préventive" et d'une nouvelle catégorie d'intervenants: les "contractuels" de l'AFAN.

L'information dépend aussi de la vitalité de la Fédération des Sociétés archéologiques Champagne-Ardenne. Son président reçoit du S.R.A. ou vient y prendre régulièrement les nouvelles, qu'il se charge de transmettre aux présidents. A eux d'en faire part à leur tour à tous leurs adhérents.

Les dernières "Assises" ont débouché sur une publication importante, qui fait le bilan des années 1960-90 dans le domaine de la recherche comme de la publication. Le Bilan Scientifique prend ainsi la suite de synthèses départementales et régionales quasi-complètes, puisqu'il n'y manque, faute peut-être d'activités suffisamment continues, qu'une mise au point sur le Paléolithique.

Le Bilan scientifique est aussi l'oeuvre de tous. Il appartient à chaque titulaire d'autorisation, désormais, de rédiger sa notice et ... en cas de retard excessif (ou d'absence de rapport...), de courir le risque de n'y pas figurer.

Même si cette information ne comble pas toutes les lacunes en matière de documentation scientifique, elle donne une bonne idée du volume, de la diversité et de la répartition de l'activité archéologique en Champagne-Ardenne. Nous espérons donc vivement que le Bilan scientifique contribuera à renforcer la communauté scientifique régionale dans le sentiment de son identité et de sa fécondité.


Bilan et orientations de la recherche archéologique (de Alain VILLES, Conservateur en chef)

Le rythme d'activité de la région s'est accru en 1992, avec 20% d'opérations de plus qu'en 1991.

L'essentiel est constitué par des sauvetages urgents et programmés, qui mobilisent 90% des crédits, lesquels sont à 85% fournis par les aménageurs.

La recherche programmée a stagné en 1992, du fait d'un manque criant de financements (moins d'un centième des crédits affectés aux fouilles!) et de la poursuite d'actions pluriannuelles déjà autorisées. On peut regretter qu'en dépit de la grande qualité des opérations (par ex.: B. Lambot dans les Ardennes) un déséquilibre évident subsiste, tant au plan géographique qu'au plan thématique (avec une prédominance très nette de la période médiévale et une absence totale de Préhistoire).

Quelques sauvetages et sondages ont permis en 1992 d'apporter un début de remède à la situation, en préparant des chantiers qui seront proposés à la programmation en 1993: prospections thématiques en Néolithique (minières du pays d'Othe) et fouilles paléolithiques (Farincourt, en Haute-Marne).

Les fouilles de sauvetage et surtout de grands travaux se répartissent bien mieux au plan géographique et chronologique. L'archéologie urbaine à Troyes et Reims se poursuit activement, avec de gros chantiers (Capucins, Erlon à Reims, Lafra-Michelet à Troyes). Elle commence à se développer ailleurs (petites opérations à Châlons-sur-Marne et dans les Ardennes).

Dans les carrières, l'absence d'accord avec la profession a limité les sauvetages, qui se sont poursuivis néanmoins sur les "points chauds" avec les moyens disponibles : Néolithique et Protohistoire sur le grand site d'Écriennes, Néolithique dans le Nogentais, Age du Fer à Norrois. Les perspectives s'annoncent meilleures en 1993 et les sauvetages de faible ampleur ainsi que les surveillances de 92 auront permis une bonne préparation d'un programme concerté d'interventions.

De gros apports ont été fournis à l'archéologie régionale par les travaux autoroutiers. Alors que la phase étude de l'A26 se poursuit très lentement, faute de moyens (la phase post-fouilles n'avait pas été prévue dans le financement), sur l'A5, un coup d'accélérateur a été donné aux sauvetages dans la plaine de Troyes, pour faire face à des contraintes nouvelles par rapport au rythme antérieur.

D'importants chantiers de Protohistoire (un peu de Néolithique aussi) ont été conduits, avec des résultats spectaculaires (structures, mobilier, stratigraphies), en particulier pour l'Age du Bronze (Laines-aux-Bois) et les Ages du Fer (Saint-Pouange, Saint-Léger-près-Troyes). Le gallo-romain et le médiéval n'ont pas été sous-représentés (Laines-aux-Bois, Moussey). Alors que l'essentiel des interventions sur le Paléolithique avait été terminé fin 91 (étude achevée en 92), le Néolithique a bénéficié d'interventions très importantes avec une troisième minière à Villemaur-sur-Vanne. Ce type de recherche, resté rare en France avant les travaux de "grand tracé", s'est brusquement imposé ces dernières années. Parallèlement à l'Ile-de-France, la Champagne tient sur ce plan désormais une place de premier ordre en Europe.

La conjoncture dans le domaine des travaux et aménagements restant favorable en Champagne, l'activité 93 se tournera, pour des raisons scientifiques liées aux leçons à tirer des deux années écoulées, mais aussi pour des raisons de logistique (gestion de personnel contractuel), vers la multiplication des opérations de moindre ampleur (diagnostics, carrières, petits réseaux, aménagements ponctuels), afin de diversifier et renforcer le tissu de l'activité de sauvetage, encore trop marqué par les aménagements exceptionnels. Cette diversification n'exclut pas de gros chantiers, comme celui du "Seugnon" à Saint-Dizier, qui a fourni d'importants éléments à la connaissance de l'habitat rural carolingien et de la métallurgie à cette époque.

Enfin, la carte archéologique s'est poursuivie activement, conformément au programme agréé, grâce à des moyens juste suffisants. Parallèlement à elle, les actions de prospection thématique et de prospections-inventaires (toutes périodes confondues) continuent à donner d'excellents résultats, grâce en particulier à l'implication des personnels du Service.


Résultats scientifiques significatifs - PREHISTOIRE (de Pierre-Arnauld de LABRIFFE et Michel PRESTREAU)

La Champagne-Ardenne n'a plus de recherche programmée portant sur le Paléolithique depuis quelques années. On peut toutefois espérer que les études entreprises sur le tracé des autoroutes A26 et A5, études qui ont révélé un important potentiel, vont susciter de nouvelles vocations pour les chercheurs locaux ou pour des universitaires.

En 1992, les travaux entrepris sur l'autoroute A5 n'ont pas permis de mettre au jour des gisements relevant du Paléolithique ancien ou moyen en Champagne, bien que ces derniers aient été étudiés en secteur bourguignon riverain.

Ces études, accompagnées d'un important travail sur la géologie, ont cependant montré que le système karstique des cuestas de l'Ile-de-France sont susceptibles de livrer de nombreux gisements.

En Champagne, seuls deux gisements intéressant le Paléolithique supérieur ont été étudiés. Il s'agit d'une part du site de plein air de Fontvannes dans l'Aube, d'autre part des grottes de Farincourt dans la Haute-Marne.

A Fontvannes, il se pourrait que les restes d'une industrie aurignacienne ait été découverts. Cette attribution culturelle ne repose que sur quelques indices. Toutefois, si elle se révélait exacte, cette découverte serait importante car elle permettrait de faire remonter vers le Nord la limite septentrionale de l'Aurignacien, méconnu dans le Nord de la France.

A Farincourt, des sondages ont montré qu'il subsiste des niveaux du Magdalénien dans les grottes jadis fouillées par Joffroy et l'Abbé Mouton. Ce Magdalénien ne s'apparente pas avec celui du Bassin parisien mais évoque les découvertes de Franche-Comté. Cette fouille se poursuivra en 1993, en collaboration avec les chercheurs de l'Université de Besançon.

Aucune découverte portant sur le Mésolithique n'a été signalée cette année.

Les découvertes néolithiques ont surtout profité au département de l'Aube. En effet, en raison du plan d'exploitation des sablières sur la commune de Mairy (Ardennes), le grand site d'habitat Michelsberg des "Hautes Chanvières" n'a pas fait l'objet de fouilles cette année. Sur le secteur de la vallée de Marne dans le Perthois, le vaste habitat danubien d'Écriennes n'a pas non plus fait l'objet d'investigations. La majorité des découvertes ont été liées à la construction de l'autoroute A5 entre Sens et Troyes (Aube) et, pour le gisement de La Saulsotte, aux exploitations de gravier du Nogentais.

Deux aspects très distincts de la recherche sur le Néolithique ont profité des découvertes auboises. D'une part l'occupation de cette portion de la Seine par les colons danubiens, pressentie depuis longtemps, a trouvé confirmation par la mise au jour de villages à La Saulsotte "Les Grèves" et Saint-Léger-près-Troyes "Preslin" ainsi que de témoins plus ténus à Moussey "La Pièce de la Creuse". D'autre part, à la suite des travaux engagés l'année précédente, les modalités d'exploitation du silex en pays d'Othe ont été complétées par la fouille d'une nouvelle minière à Villemaur-sur-Vanne "Les Orlets".

Sur le site de La Saulsotte, les plans de six habitations ont pu être dégagés, ainsi que les restes de deux sépultures. Qu'il s'agisse des maisons ou des tombes, ces vestiges s'intègrent parfaitement dans le schéma traditionnel danubien.

A Saint-Léger-près-Troyes, les plans partiels de deux habitations ont pu être reconnus. Ce site, malheureusement très érodé, n'a livré que peu de mobilier. Quant au gisement de Moussey, il ne s'agit que de lambeaux de fosses néolithiques très perturbées par les occupations postérieures.

Les structures et le mobilier de ces trois sites sont rattachables au groupe de Villeneuve-Saint-Germain. Ce sont actuellement les plus anciens témoignages de l'occupation néolithique de la vallée de la Seine. Ces sites, qui sont à mettre en parallèle avec ceux fouillés sur la vallée de l'Yonne ou un peu plus en aval dans la Bassée, sont les premiers indices de la colonisation danubienne de ce secteur.

Deux importants gisements d'extraction de silex avaient été fouillés en 1991 sur le territoire des communes de Pâlis et Villemaur-sur-Vanne à l'occasion de la construction de l'autoroute A5. En 1992, une troisième minière a pu être fouillée. Un des aspects les plus intéressants a été la mise en évidence d'une production beaucoup plus variée que sur les sites précédents. Si la fabrication de haches est toujours majoritaire, il y également eu une recherche d'éclats et de produits laminaires.

Ce site est un nouvel élément du complexe minier du pays d'Othe. Le problème qui se pose actuellement est la reconnaissance des sites complémentaires (habitats, nécropoles, etc.). En effet, dans l'environnement immédiat des minières, sur le tracé autoroutier, malgré des indices de surface, aucun site néolithique structuré n'a pu être mis au jour.


Résultats scientifiques significatifs - PROTOHISTOIRE (de Alain VILLES)

Pour 1992, les travaux en Protohistoire assurent le prolongement direct de l'année précédente, marquée par les grands travaux. La majorité des découvertes est à mettre en effet à l'actif des sauvetages urgents et programmés.

L'Age du Bronze est représenté principalement par des habitats: Saint-Pouange, Saint-Léger-près-Troyes, Laines-aux-Bois, situés sur le tracé de l'A5 dans la plaine de Troyes, et Écriennes, dans le Perthois. Notre connaissance dans ce domaine, presque nulle jusqu'en 1991 dans la région, s'est considérablement étoffée. Ainsi se précise un portrait assez dispersé et diversifié des installations domestiques du Bronze final: petites structures liées à l'activité agricole, et dont la majorité est destinée probablement au stockage du grain, du foin et des épis à sécher, dispersées à proximité des zones humides, et sans doute en rapport avec des terres productives ou faciles à cultiver. II est difficile de savoir si ces structures se rattachent à une maison d'habitation de quelque importance et située à quelque distance ou s'intègrent à un complexe encore plus éloigné et groupant plusieurs catégories de bâtiments.

Malgré l'avantage offert par les grands travaux, il faut reconnaître que les décapages ne sont pas encore assez larges pour permettre d'appréhender l'ensemble des structures. D'autre part, à côté de ces petites installations qui semblent témoigner d'une exploitation extensive des terroirs, on observe de véritables fermes, comportant des bâtiments de plusieurs types et dimensions, quoique jamais très grands, autour d'un puits, et parfois ceinturées par une palissade. C'est l'exemple fourni par les aménagements étudiés autour de la source chaude du Brébant à Laines-aux-Bois (Aube) et dont les éléments les plus spectaculaires sont deux puits dont le cuvelage en bois, très bien assemblé, étant conservé. Ce site est également intéressant par sa séquence stratigraphique et les données paléoenvironnementales recueillies. Il a en outre livré un silo du début du Bronze moyen, période représentée jusqu'ici uniquement par des productions métalliques dans la région.

L'Age du Fer a livré en 1992 plusieurs ensembles importants, aussi bien funéraires que domestiques. Les découvertes les plus spectaculaires sont les tombes à char d'Estissac (Aube) et de Semide (Ardennes). Très originale, la première associe des incinérations et des récipients métalliques à un véhicule à deux roues et semble à première vue réunir en un seul ensemble une large séquence chronologique. Elle a de grandes affinités avec la tombe à char de Bouranton, étudiée il y a trois ans sur le tracé de l'A26. L'étude simultanée de ces deux ensembles devra résoudre la difficulté posée par l'association d'éléments de type hallstattien et Laténien. En tous cas, la zone troyenne s'avère désormais, grâce à ces découvertes et compte-tenu des éléments recueillis depuis le siècle dernier et passés inaperçus, tout aussi intéressante que la Champagne septentrionale pour l'étude de l'aristocratie celtique. A la charnière des VIe-Ve s., elle représente certainement un centre intermédiaire de peuplement important entre cette région et la Bourgogne du Nord (Châtillonnais, Sénonais).

La tombe à char de Semide, associée, comme celle d'Estissac, à un grand monument circulaire délimité par un fossé (double à Estissac, où la fosse à char est en position secondaire) montre un nouvel exemple de bouleversement de la sépulture (retrait du char) à une époque encore proche du dépôt. Le mobilier constitue un riche ensemble qui complète les données laissées par des fouilles trop peu méthodiques au siècle dernier. A Coulommes (Ardennes), l'association de tombes La Tène Ib et d'enclos funéraires de type plus ancien s'ajoute à notre connaissance des nécropoles de ce type et de cette période (Manre et Aure) dans le Sud Ardennais.

La poursuite, en programmation, des recherches de B. Lambot sur le vaste ensemble d'Acy-Romance permet d'apporter des éléments importants à la connaissance de la relation habitat-nécropole aux Ages du Bronze et du Fer, de la forme des habitations et de leurs structures annexes à La Tène finale, de l'organisation interne et de l'évolution de l'habitat, notamment au plan de la complémentarité entre centres majeurs (oppidum) et agglomérations secondaires à La Tène finale. La publication suit par ailleurs de très près la fouille, avec la parution d'un premier tome début 1993. Le site a en outre permis de réviser certains aspects de la chronologie de cette période et de l'utilisation, en particulier, du monnayage, pour les datations.

D'autres sites d'habitat ont été étudiés en sauvetage: à Tagnon (Ardennes), pour La Tène I, où une croupe limoneuse a livré une série de silos et une curieuse structure de combustion, jamais étudiée correctement jusqu'ici dans la région, et qui est probablement un four à torréfaction. A Isle-sur-Suippe, un grand bâtiment du Hallstatt moyen, à trois nefs, a pu être étudié, ainsi que diverses structures secondaires (petits bâtiments, greniers, silos) à l'intérieur d'un enclos palissadé partiellement dégagé. Enfin, la multiplication des "petites opérations" a permis de recueillir des informations diverses, isolées ou recouvertes par des occupations plus récentes, qu'il s'agisse de tombes (partie de la grande nécropole protohistorique de La Saulsotte et à Norrois, sépultures d'un cimetière de La Tène I très dispersé) ou de fosses d'habitat.

Si l'on tient compte du développement général des sauvetages, que l'année 1992 confirme, la Champagne semble reprendre rapidement la place de choix qui fut longtemps la sienne dans l'étude des âges des métaux. Il reste à souhaiter que cette activité ne subisse un coup d'arrêt avec l'achèvement des grands tracés et que les sauvetages de moindre ampleur, mais toujours nécessaires, notamment sur les réseaux routiers secondaires et dans les cinq vallées alluviales de la région, prennent la relève.


Résultats scientifiques significatifs - HISTOIRE

Antiquité (de Dominique BONNETERRE)

Pour la période gallo-romaine, des résultats significatifs ont été obtenus en 1992 dans la connaissance de l'urbanisme antique. Les nouveaux acquis concernent surtout Reims, où deux chantiers d'ampleur exceptionnelle, place Drouet-d'Erlon et rue Gambetta, ont été l'occasion de mieux cerner la transition entre l'oppidum protohistorique et la ville gallo-romaine. Le fossé d'enceinte de l'oppidum, pour la première fois étudié avec son profil complet, semble avoir conservé sa fonction dans la première moitié du Ier s. de notre ère avant d'être comblé volontairement à cette époque pour permettre le développement d'une trame serrée d'habitations organisées en fonction d'une voirie nouvelle mais encore respectueuse du tracé de l'ancien fossé. L'abandon puis la mise en culture de ces quartiers situés en dehors de l'enceinte du Bas-Empire s'effectue courant IIIe s.

Des découvertes intéressantes ont été effectuées dans d'autres villes : à Mouzon (Ardennes), place du Monument aux Morts, le rempart du castrum du Bas-Empire a été reconnu sur 25 mètres de long avec sa structure de pieux de chêne épointés (132 mis au jour) soutenant des poutres horizontales, non loin d'un quartier artisanal, consacré notamment à la tabletterie, installé au Ve s. sur une voie désaffectée. A Troyes (Aube) a été exploré sur le site de Lafra-Michelet un quartier du Haut-Empire succédant à une occupation préromaine et remplacé à la fin du IIIe s. par une vaste nécropole; à Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne), à l'emplacement de l'ancien Hôpital Militaire, tout proche des thermes antiques, des sondages ont mis en évidence des éléments d'une galerie à colonnade, construite au début du Ier s. et utilisée jusqu'à la fin du IIIe s. Une fouille ultérieure devrait permettre d'en préciser le contexte et d'explorer les niveaux les plus profonds, actuellement sous l'eau.

Par ailleurs, reflets de la diversité du sujet, plusieurs sanctuaires ont fait l'objet de recherches cette année:

A Mouzon (Ardennes), des sondages ponctuels ont permis de préciser l'extension du fanum du Flavier, en activité du Ier s. av. J.-C. jusqu'à la fin du Bas-Empire et d'affiner l'étude des cella du Ier s. av. J.-C.

A Chaumont (Haute-Marne), en forêt du Corgebin, le fanum édifié sur une plate forme artificielle au bord d'un gouffre à l'origine du culte a livré, sur une nouvelle zone d'offrande, des ex-voto anatomiques (bras, main), des têtes aux traits schématiques, et une statue féminine qui pourrait être Atesmerta, déesse tutélaire des lieux attestée par une inscription. Les monnaies recueillies dans le gouffre s'échelonnent du Ier s. au troisième quart du IIe s.

A Isômes (Haute-Marne), au Champ Varenne, un important complexe cultuel situé en bordure de la voie Langres-Genève, à proximité de sources, a été mis au jour. Le site semble avoir été fréquenté depuis le tout début du Ier s. jusqu'à la moitié du IVe s. Les sculptures équestres grandeur nature qui en proviennent pourraient être des emblèmes peu communs de la déesse Epona.

L'étude du tissu rural gallo-romain, en dehors des apports précieux des prospections-inventaire de la région, s'est faite de manière ponctuelle, en l'absence de recherches programmées sur ce thème: dans les Ardennes, à Acy-Romance, l'extension des fouilles de l'habitat laténien de "La Warde" et de la nécropole à tombes riches qui lui est associée a mis en évidence, contre toute attente, une occupation en espace ouvert, continue et sans grandes modifications de son organisation, jusqu'à l'époque d'Auguste. A Laines-au-Bois "Source du Brébant", un établissement gallo-romain, abandonné à la fin du IIe s., est venu perturber une occupation de La Tène finale, dans la première moitié du Ier s. qui semble connaître une activité de défrichement intense de l'espace. A Saint-Pierre-sur-Vence, au lieu-dit "Courtil l'Agneau", ont été étudiés un bâtiment sur poteaux à vocation agricole du Ier s. et deux constructions sur caves de la première moitié du IVe s., présentant un intéressant exemple de transition entre l'architecture de pierre de tradition romaine et la construction en bois du Haut Moyen-Age.

Dans l'Aube, à Romilly-sur-Seine, au lieu-dit "Saint-Eloi", a été fouillé partiellement un établissement du IIe/IIIe s. sur trous de poteaux entouré d'un fossé, nouveau jalon dans l'étude d'un terroir très densément occupé à l'époque gallo-romaine.

Moyen-Age et Période Moderne (de Michel LENOBLE)

De nombreux domaines de la recherche concernant les périodes médiévales et post-médiévales ont été abordés en Champagne-Ardenne.

En ce qui concerne l'habitat rural, on commence à saisir la transition entre les techniques de construction du Bas-Empire et celles du Haut Moyen-Age grâce aux travaux réalisés à Saint-Pierre-sur-Vence où se traduit l'abandon progressif de la pierre au profit de l'architecture en bois. Les fouilles de structures d'habitats du Haut Moyen-Age, inexistantes jusqu'à ces dernières années, sont apparues par l'intermédiaire des grands travaux (A26, A5, RN51), et commencent à devenir fréquentes, elles sont surtout représentées pour l'époque carolingienne. Mais de nombreux points restent encore à élucider notamment celui de la fonction de ces sites et des structures qui les composent (villages, établissements ruraux...). Peu de témoins d'activités artisanales ont été reconnus en raison de la difficulté de leur mise en évidence. Ce qui confirme la nécessité d'études paléoenvironnementales indispensables à la meilleure perception de ces sites.

Une étude sur le peuplement dans la haute vallée de la Moivre est en cours; les premiers travaux de terrains ont porté essentiellement sur l'église et la nécropole de Saint-Hilaire (Marne), village déserté au XVIIe s. dont l'origine remonterait à l'Antiquité ou à la période mérovingienne.

L'habitat urbain médiéval est bien représenté à Troyes. Si l'on n'a pas encore mis au jour d'habitation du Haut Moyen-Age, en revanche des constructions (fonds de cabanes, caves) s'échelonnant du XIIe-XIIIe s. jusqu'au XVIe s. ont été découvertes sur le site Lafra-Michelet, et permettent ainsi de connaître l'évolution des techniques de construction dans cette ville.

Une étude et prospection des caves du centre historique de Troyes a permis de cerner l'évolution de ces structures parfois utilisées comme ateliers ou magasins, du XIIIe s. au XVIIIe s.

Les fouilles de sites fortifiés restent relativement nombreuses dans la région, notamment dans les Ardennes, où plusieurs châteaux sont en cours d'étude et dont les périodes chronologiques s'étendent du XIe au XVe s.

La fouille programmée du château comtal de Montfélix à Chavot-Courcourt (Marne) démontre bien les différentes phases d'occupation et d'évolution du site du Ve au XIIIe s.

A Reims, un tronçon de l'enceinte urbaine du Haut Moyen-Age, réédifiée au IXe s. sur celle du Bas-Empire a été mis au jour dans le quartier Chanzy.

Les études d'établissements monastiques sont rares. Quand elles existent (Reims, couvent des Clarisses; Troyes, abbaye Saint-Martin-ès-Aires) elles tendent surtout à présenter l'évolution spatio-temporelle de leurs bâtiments.

Plusieurs nécropoles ont été mises au jour mais les études exhaustives sont peu nombreuses. A Troyes, deux sites ont prouvé la persistance de l'occupation des cimetières antiques jusqu'au Moyen-Age. A Isles-sur-Suippe où l'étude anthropologique a été réalisée sur 120 individus, il a été démontré une organisation préférentielle de la nécropole située près de l'habitat, ainsi que de nombreux cas pathologiques.

Les recherches sur les installations artisanales et industrielles sont également représentées dans la région Champagne-Ardenne. Deux opérations de prospections thématiques pluriannuelles ont pour objectifs de recenser, l'une, les installations métallurgiques en forêt d'Othe, l'autre les ateliers de potiers antiques et médiévaux du Sud-Ouest champenois.

Menée conjointement dans les archives, sur le terrain et en laboratoire pour les analyses physico-chimiques des échantillons, la première opération a permis de recenser 160 sites métallurgiques (ferriers, sites d'extraction, minières). Ses objectifs sont de caractériser et de saisir l'évolution des productions sidérurgiques des seigneuries laïques et ecclésiastiques de la région entre les XIIe et XVe s.

Dans les Ardennes, à Haybes, dans le cadre de l'étude de la métallurgie du fer entre Revin et Givet, un haut-fourneau du XVIe s. est en cours de fouille.

L'opération de prospection-inventaire des ateliers du Sud-Ouest champenois a permis de recenser au moyen de recherches d'archives, prospections et sondages (complétés par des analyses chimiques d'échantillons en laboratoire) 42 officines de potiers ou tuiliers et sites d'extraction d'argile qui s'échelonnent, pour les périodes médiévale et moderne, des VIIe-VIIIe s. au XIXe s.

Ces données issues de sites de production de céramiques, et en particulier celles concernant les ateliers du Haut Moyen-Age, complétées par les éléments obtenus au cours de fouilles de lieux de consommation, permettent de bien cerner l'éventail des céramiques médiévales de la région.


Introduction