Arisitum

L'ARCHEOLOGIE EN CHAMPAGNE-ARDENNE (1993)
BILAN ET RESULTATS

(Ardennes, Aube, Marne, Haute-Marne)


Source: "Bilan Scientifique 1993", Ministère de la Culture et de la Communication, Direction Régionale des Affaires Culturelles de Champagne-Ardenne, Service Régional de l'Archéologie, 1995, pages 6 à 8.


Préface (de Alain MARAIS, Directeur Régional des Affaires Culturelles)

L'année 1993 est une année enfin "normale" pour le Service Régional de l'Archéologie. Les grosses opérations exceptionnelles de l'autoroute A26 puis A5 ont en effet pris fin. Elles avaient été l'occasion de gonfler considérablement - notamment en termes financiers - l'activité d'archéologie préventive, tout en exigeant des personnels de l'État un investissement tout particulier d'organisation et d'encadrement des activités de chantier, sans qu'il soit permis pour autant de "lever le pied" dans les autres domaines où les sauvetages n'ont pas cessé d'être nécessaires, en particulier les villes, ni de renoncer à l'exercice normal des prérogatives "régaliennes" du service public: instruction des servitudes d'utilité publique, protections, carte archéologique, recherche...

Du même coup, l'activité de terrain dont le présent et troisième Bilan Scientifique fait état en priorité, reflète un réel effort d'adaptation. Les archives du sol ne sont pas menacées seulement sur les grands tracés, chacun en conviendra. Maintenir une activité de terrain qui a pris un essor nouveau depuis les autoroutes, c'est traiter un nombre de sites correspondant à un taux annuel de destructions que l'on n'enrayait pas aussi bien auparavant. Les chiffres sont éloquents à cet égard: avec un personnel constant (A.F.A.N. et Etat réunis), pour 82 opérations en 1992, dont 10 sur le tracé de l'A5, on en compte 72 en 1993, preuve que le traitement des dossiers qui permettent le financement de l'archéologie par la contribution des "aménageurs" s'est définitivement inscrit dans les moeurs dans des cas très variés, qu'il s'agisse de voirie, de lotissements, de carrières... Preuve aussi que cet effort de reconversion partielle, visant à confier aux agents travaillant sur les grands tracés des opérations réparties sur l'ensemble du territoire de la région, était engagé dès 1992, sans quoi il n'aurait pu réussir.

Pouvoir maintenir une quarantaine de contractuels en emploi, quelles que soient les opportunités à saisir, est un pari renouvelé et gagné chaque mois, mais qui démontre simplement la nécessité de contenir l'érosion quotidienne du patrimoine, et non le besoin de maintenir des emplois ou de "faire du chiffre".

Les aménageurs ne sont pas les seuls à assumer les conséquences, parfois avec quelque inquiétude, de cette évolution de la prise en compte du patrimoine enfoui. Les bénévoles et les chercheurs non directement confrontés à l'archéologie préventive ont l'impression d'être laissés de côté. Les moyens dont ils disposent n'ont pas augmenté en proportion de ceux des sauvetages. Ils ont le sentiment de bénéficier de la part du service public d'une attention moindre que par le passé.

Mais les choses ont-elles réellement tant changé ? La fouille préventive reste une destruction des archives du sol, dont le remplacement par des documents n'est et ne sera jamais une transcription parfaite ou objective. Entre les sites que l'on sauve, ceux qui sont détruits sans qu'on le sache et ceux que l'on pourrait sauver sans en passer par la fouille, quelle est l'exacte proportion ? C'est là une question de fond que j'invite les partenaires du Service Régional de l'Archéologie, et tout particulièrement les chercheurs du secteur bénévole, à approfondir avec lui. Dans l'évaluation du potentiel des archives du sol, les conditions de leur préservation sur le long terme et la nécessaire étude scientifique de la documentation "engrangée" dans des proportions qui s'accélèrent brutalement, il y a ample matière à une collaboration approfondie entre tous les acteurs disponibles.


Résultats scientifiques significatifs et bilan et orientations de la recherche archéologique (de Alain VILLES)

Dans le domaine de la préhistoire proprement dite, les recherches continuent à s'essouffler dans la région. Seule, la fouille du gisement magdalénien de Farincourt, très intéressant en raison de sa position géographique et de la qualité de son matériel, apporte des éléments nouveaux. Ce chantier cependant mériterait de prendre de l'extension, à condition de s'inscrire dans une démarche d'ensemble, fondée sur une meilleure connaissance du potentiel du gisement.

Pour le Néolithique, l'absence d'opérations programmées fait que la recherche dépend entièrement du hasard des possibilités offertes par l'archéologie préventive. Mais à part une sépulture à la Saulsotte (Aube), aucune découverte significative n'a eu lieu cette année. C'est d'autant plus regrettable qu'une opération importante, à Escriennes, reste en attente, faute d'accord avec l'entreprise sur les modalités de levée de l'hypothèque archéologique et que, d'autre part, la région est très riche en gisements.

Dans le domaine de la Protohistoire, l'essentiel des informations a été apporté par les fouilles de sauvetage. Dans le cadre de la programmation, en effet, les travaux de Bernard Lambot sur le site d'Acy-Romance ont fourni des données très intéressantes, tant sur la nécropole que sur le complexe d'habitats de La Tène finale de "La Warde" et "La Noue Mauroy" (Ardennes), mais ces éléments s'inscrivent dans la continuité des acquis des campagnes précédentes. À La Saulsotte, l'extension de la sablière sur l'emprise d'une importante nécropole du Bronze final en partie fouillée dans l'entre-deux-guerres, a permis de lever un plan correct et complet du site, de dégager de nouvelles structures monumentales (enclos), de découvrir un nombre important de sépultures nouvelles et de compléter les données trop lacunaires laissées par les anciens fouilleurs. Un riche mobilier de caractère assez exceptionnel (céramique, épingles, "diadèmes"...), ainsi que des informations originales sur les rites funéraires (tombes multiples, inhumations en puits), ont été recueillis. En outre, des tombes de La Tène ont été mises au jour, avec un riche mobilier.

Dans la ville de Troyes, le diagnostic réalisé "Porte de Chaillouet" (anciens abattoirs) ont fourni, sous les niveaux gallo-romains, des indices d'occupation protohistorique, dont il serait intéressant de savoir si elle est organisée ou ponctuelle.

A Bezannes (Marne), une petite nécropole de La Tène finale fournit une image assez proche de celle qui caractérise les ensembles sud-ardennais. Mais elle se superposait à une unité domestique du Bronze final III b qui s'intègre bien dans le faciès belge déjà reconnu dans le Rethélois.

A Plichancourt, les premiers travaux menés dans une carrière ont mis au jour un important ensemble d'enclos circulaires de la fin du Bronze final, qui s'intègrent à la famille champenoise, déjà reconnue en d'autres points du Perthois (Frignicourt, Hallignicourt), tout en offrant quelques points de comparaison avec le Sénonais (enclos ou bâtiment circulaire sur poteaux). A cette nécropole, se superpose un grand enclos quadrangulaire gallo-romain, à usage funéraire lui aussi, caractérisé par le rite de l'incinération, sous forme de sépultures très superficielles, d'un type encore peu représenté jusqu'ici dans ce secteur de la Champagne.

A Reims, l'archéologie urbaine enregistre des avancées nouvelles, grâce à la complémentarité croissante entre des opérations assez proches les unes des autres, notamment dans le quartier des Capucins, où les observations sur l'enceinte du tout début du Haut-Empire se combinent à l'approche de l'évolution du tissu urbain. Parallèlement à l'activité intra-muros, la prise en compte des aménagements périurbains permet de constater la densité d'occupation des zones de faubourg, dès avant l'urbanisation romaine. À Langres, le diagnostic réalisé sur le cimetière du faubourg des Franchises a décelé un important cimetière gallo-romain ayant connu au moins un épisode de remaniement, et axé sur la voirie antique longeant le flanc oriental de l'oppidum. L'importance du cimetière a justifié la modification du tracé des travaux et la préservation du site.

C'est dans le domaine de l'archéologie médiévale que programmation et prévention convergent ou se complètent le mieux. L'habitat du haut Moyen-Age, déjà signalé par des découvertes de grand ampleur sur le tracé de l'A26, compte un nouvel ensemble important, celui du "Chêne Saint-Amand" à Saint-Dizier. Après une première surface de fouille très étendue (voir Bilan scientifique 1992), une seconde tranche a été réalisée dans l'emprise connexe des travaux (voirie), livrant non seulement de nouvelles structures d'habitat, mais aussi des vestiges très intéressants d'activité métallurgique. Cet habitat représente donc un complément très important aux acquis récents.

Au Fresne, les recherches poursuivies, après un bref sauvetage, sur le secteur de l'église du village déserté de Saint-Hilaire-sur-Moivre, ont permis de mieux cerner, à travers la fouille de nombreuses sépultures, l'importance de l'horizon mérovingien. L'application des méthodes d'anthropologie de terrain a débouché sur des résultats intéressants, qui s'inscrivent utilement dans le développement de cette démarche à l'échelle régionale (cimetières de Boulzicourt et Isle-sur-Suippe), pour la même période.

L'étude des sites castraux s'est poursuivie avec la campagne complémentaire sur le site de Chavot, au château comtal de Montfélix, dont la complexité, notamment à travers l'articulation des premiers établissements à la pointe de l'éperon et de la grande motte féodale, est apparue plus clairement.

Dans le domaine de l'archéologie industrielle, la nécessité de prévoir une opération préventive sur le site des Islettes ("Le Bois d'Épense", à Sainte-Ménéhould) a fourni l'occasion par un diagnostic, de mesurer l'importance quantitative et l'intérêt historique de ce site, jusqu'ici connu à travers ses seules productions.

Grâce à une confrontation avec les travaux qui s'achèvent sur le site des Auges, à Langres, l'étude des sites d'industrie de la faïence a connu d'importants progrès par l'intermédiaire des recherches en Champagne, facilitant ainsi la mise en place d'une démarche globale, à l'échelle du Nord-Est.

Les prospections n'ont en rien cédé aux opérations de terrain. Outre les recherches déjà engagées (Marais de Saint-Gond, Métallurgie en pays d'Othe, ateliers du Nogentais), une action menée sur le tracé du futur TGV-Est, qui traverse la Marne de part en part, a permis de mesurer l'intérêt des prospections-inventaires auparavant ciblées, à titre préventif, sur le cours de la Vesle, que longe le futur tracé, de compléter le pré-inventaire des gisements menacés, et de faire apparaître la densité considérable du patrimoine archéologique, notamment dans la zone crayeuse, tout en soulignant que des types de gisements particulièrement délicats à cartographier ont été mis en évidence en amont (minières néolithiques, gisements paléolithiques du Tardenois axonien) et en aval de la zone crayeuse (occupations multiples de l'Argonne et de ses marches), dans des paysages ingrats pour la prospection, notamment aérienne.


Introduction