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L'ARCHEOLOGIE EN HAUTE-NORMANDIE (1992)
BILAN ET RESULTATS

(Eure, Seine-Maritime)


Source: "Bilan Scientifique 1992", Ministère de la Culture et de la Communication, Direction Régionale des Affaires Culturelles de Haute-Normandie, Service Régional de l'Archéologie, 1993, pages 9 à 18.


Avant-Propos (de Philippe DIDIERJEAN, Directeur régional des affaires culturelles de Haute-Normandie)

L’année l992 aura été pour l’archéologie nationale une année très importante marquée par la mise en chantier de réformes fondamentales, en particulier pour le contrôle scientifique.

Pour la région, une nouvelle étape administrative a été franchie avec la mise en place, à compter du 1er janvier 1992, au sein de la Direction Régionale des Affaires Culturelles, d'un service archéologique unique regroupant les anciennes directions des antiquités.

Au delà de cette réforme structurelle, le fait le plus significatif reste sans conteste l'accroissement spectaculaire de l’activité archéologique de sauvetage (81 diagnostics et fouilles en 1992) avec le démarrage de lourdes opérations comme, par exemple, celle du métro-bus de l’agglomération rouennaise.

La place prépondérante qu’occupe actuellement l’archéologie préventive résulte d'une meilleure prise en compte du patrimoine archéologique suite aux prescriptions établies par le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Culture (Direction Régionale des Affaires Culturelles) dans le cadre des procédures administratives courantes (grands travaux, P.O.S, Z.A.C., permis de construire, carrières etc.). Mais cette situation a aussi d importantes conséquences sur le plan humain (manque de personnel d'encadrement, problème de formation...) et de lourdes implications scientifiques (retards dans la remise des rapports, l'élaboration des publications, etc.) qu’il faudra sans tarder maîtriser.

Pour l’année 1993 qui verra l'achèvement des réformes techniques et administratives engagées, je souhaite pour la région Haute-Normandie, à l’image du présent bilan, de nombreuses et riches découvertes scientifiques, compléments nécessaires à la connaissance de notre histoire collective.

Je sais pouvoir compter sur la compétence et le dynamisme de l'équipe du Service Régional de l’Archéologie pour mettre en oeuvre et coordonner avec le concours du plus large partenariat possible, la politique de l’État en ce domaine.


Préface (de Xavier DELESTRE, Conservateur Régional de l'Archéologie)

L'accueil très positif réservé l'an passé à la première édition des « bilans scientifiques régionaux » a décidé le ministère de l’Éducation Nationale et de la Culture à poursuivre cette initiative en 1993. Ces fascicules, reflets de la vitalité de la recherche archéologique régionale, offrent aux chercheurs la possibilité de présenter rapidement et très largement les principaux acquis scientifiques obtenus dans le cadre de prospections, de programmes collectifs de recherches ou d'opérations de fouilles. Documents d'actualité, ils constituent un véritable trait d'union entre les différents acteurs et partenaires de l'archéologie régionale.

1992 : une année de réformes

Sur le plan national, l'année écoulée a été tout d'abord marquée par la mise en oeuvre de réformes techniques et administratives qui définiront désormais le cadre pratique et juridique de l'archéologie.

Pour mémoire, les principaux temps forts ont été les suivants :

En tenant compte des mesures liées à la décentralisation, cette réforme prévoit la création de trois niveaux décisionnels :

I. Un échelon interministériel chargé d'harmoniser les politiques propres à chaque ministère. Il est composé :

II. Un conseil national de la recherche archéologique (C.N.R.A) composé de 25 membres dont 12 élus par les commissions interrégionales et placé auprès du ministre de la Culture. Il joue un rôle de conseil en matière de politique générale de l'archéologie et donne son avis pour les demandes de fouilles concernant les « sites archéologiques d'intérêt national ». Une délégation permanente de 9 membres aura la responsabilité du contrôle scientifique a priori des opérations archéologiques préventives signalées par les commissions interrégionales ou l'inspection générale.

III. Sept commissions interrégionales de la recherche archéologique constituées de 7 membres, nommés pour une durée de quatre ans, pratiquant l'archéologie dans l'interrégion concernée. Les commissions sont présidées par le préfet de région, siège de l'interrégion. Ces commissions seront chargées, conformément à un décret modifiant la loi du 27 septembre 1941 portant réglementation des fouilles archéologiques, de donner un avis aux préfets de région qui autorisent les demandes de prospections, de fouilles programmées et de fouilles d'urgence.

Suite à ce découpage, la région Haute-Normandie est rattachée à l'interrégion Grand-Ouest avec la Basse-Normandie, les Pays-de-la-Loire et la Bretagne. Son siège est fixé à Rennes.

Une archéologie régionale en pleine mutation

Au niveau régional, l'archéologie connaît une mutation sans précédent dans sa jeune histoire qui avait été évoquée dans le chapitre « bilan et orientations de la recherche archéologique » du premier bilan annuel.

Douze mois plus tard, sur le plan scientifique, les principales caractéristiques de la recherche archéologique régionale demeurent pour l'essentiel identiques. A grands traits, elles se présentent ainsi :

Sur le plan administratif, quelques changements qui trouveront d'ailleurs leur véritable importance en 1993 méritent d’être brièvement signalés ici :

Une archéologie préventive en plein essor

A l'évidence, ce qui caractérise pour l'heure l'archéologie en Haute-Normandie c'est la place de plus en plus importante qu'occupe l'archéologie préventive. Cet essor s'explique par une conjonction de grands travaux d'infrastructure et d'urbanisme liés d'une part, à la proximité de la région francilienne et, d'autre part, à l'aménagement de l'espace européen.

Pour l'année 1992, on enregistre 31 opérations supplémentaires par rapport à 1991. Cet accroissement d'activité de terrain représente à lui seul un coût financier direct de 22,5 millions de francs. Il se traduit notamment par l'embauche mensuelle d'une centaine d'archéologues contractuels à laquelle s'ajoute un volant d'emplois contrats-solidarité (C.E.S).

Cette croissance pose aujourd’hui, ici comme ailleurs, d’énormes problèmes pour une gestion quotidienne correcte. Elle fait également apparaître des difficultés nouvelles sur le plan humain suite à une professionnalisation des équipes de fouilles et à un personnel scientifique et d'encadrement en nombre insuffisant; sur le plan archéologique, elle entraîne des retards importants dans la remise des rapports et l'élaboration des publications. Mais, au delà de ce constat que l'on s'efforce de corriger, on mesure combien l'archéologie préventive conduite avec des problématiques clairement définies peut contribuer au renouvellement des connaissances comme les comptes-rendus présentés dans ce volume en témoignent.


Bilan et orientations de la recherche archéologique

Le Paléolithique ancien et moyen

Les séquences du Paléolithique inférieur et moyen, connues à partir d'études réalisées sur le matériel lithique recueilli dans les fronts de taille des briqueteries, ont été complétées ces dernières années par quelques fouilles récentes (Tourville-la-Rivière, Tancarville, Houppeville, Saint-Saëns - "Le Pucheuil"...) associées à des études géomorphologiques particulièrement riches compte tenu de l'importante couverture limoneuse de la région. Les travaux de terrain concernant ces périodes sont quelque peu ralenties mais les études récentes de matériel lithique sont particulièrement encourageantes. Elles sont menées dans le cadre de travaux universitaires sur les séries de Goderville, Saint-Martin-Osmonville et de Saint-Saëns.

Le Paléolithique supérieur

Le Paléolithique supérieur n'a toujours pas livré de sites anciens. La publication, en 1992, des fouilles des abris sous roches de Saint-Pierre d'Autils constitue une référence pour le Paléolithique final de type nordique. La reprise d'études de séries lithiques (Mauny, Acquigny III) pourrait attester la présence de magdaléniens jusqu'alors limitée à l'ouest de la région parisienne (abris sous roche de Bonnières).

Les travaux de terrain se poursuivent : prospections à Hénouville et à Mauny, diagnostics (Acquigny - « La Noë ») et sauvetages urgents (Bernières). Ils apportent des éléments nouveaux - certes encore ténus - sur la transition entre le Paléolithique supérieur et le Mésolithique.

Les relevés des gravures de la grotte de Gouy, classée monument historique, sont en voie d'achèvement. Ils ont porté en 1992 sur la partie supérieure des parois de la deuxième salle.

Le Mésolithique

Grâce à une riche documentation, acquise par les fouilles réalisées entre 1980 et 1990, et à la mise en place d'un programme collectif de recherche, les connaissances sur le Mésolithique progressent, étayées par une première série d'analyses qui confirment l'appartenance au Mésolithique moyen des sites majeurs de la région (Acquigny, La Mailleraye-sur-Seine, Saint-Wandrille-Rançon, Chéronvilliers).

Le Néolithique

Les sites du Néolithique ancien et moyen connus en Haute-Normandie et ayant fait l'objet d'une fouille se limitent à quelques unités. En revanche, grâce au suivi régulier des exploitations de granulats depuis ces vingt dernières années notamment dans la boucle du Vaudreuil, la recherche s'est considérablement renouvelée dans le domaine du funéraire de la fin du Néolithique. Les fouilles effectuées en 1991 et 1992 sur les sépultures collectives à Poses et à Val-de-Reuil, associées à une relecture de la documentation ancienne donnent lieu à présent à la mise en place d'un programme collectif de recherche sur les rites funéraires auquel sont associés des anthropologues de terrain. Parallèlement, seront réalisés en 1993, une fouille programmée sur le site mégalithique d'Acon (Eure) et des sondages sur le monument récemment repéré à Cléon (Seine-Maritime) pour compléter le dossier régional sur le mégalithisme.

L’Âge du Bronze

La connaissance de l’Âge du Bronze, qui reposait pour l'essentiel sur des découvertes isolées, connaît depuis 1992 des progrès très significatifs suite au développement de l'archéologie de sauvetage. Ainsi, dans le cadre des travaux autoroutiers, il a été possible d'entreprendre une approche nouvelle sur des sites d'habitat (Graimbouville) et, lors d'interventions en carrières, de mettre au jour des incinérations à Val-de-Reuil. Enfin, la fouille programmée du fossé Saint-Philibert à Yainville a montré qu'une première phase de construction pourrait être rattachée à la phase finale de cette période.

L’Âge du Fer

Pour ce qui concerne l’Âge du Fer, plusieurs sites en relation avec des systèmes parcellaires ont pu être largement décapés. Malheureusement, ils se révèlent très fortement arasés par les travaux agricoles, difficile à interpréter dans le détail (structures imbriquées : fosses et fossés) bien que livrant les premières séries significatives de matériel dans de tels contextes. L'étude des sites fortifiés se poursuit (Saint-Nicolas-de-la-Taille, Yainville) et de nouvelles fouilles (Vernon) confirment, à la suite de découverte récente (Quiévrecourt), la présence dans cette région des constructions du type murus gallicus.

Le Gallo-Romain

Le bilan des connaissances sur l'antiquité demeure très contrasté.

Pour le monde rural, après avoir connu une dynamique de recherche sur le funéraire, les fouilles menées en 1992 ont essentiellement porté mais, de manière très ponctuelle, sur des sites d'habitat (Epretot, Rouville, la Mailleraye-sur-Seine). Ces interventions de terrain vont se poursuivre en 1993, dans le cadre des fouilles préliminaires aux grands travaux. Malgré quelques prospections et le réexamen de dossiers très importants tels que le Vieil-Evreux, il faut déplorer l'absence de chercheurs et de programmes ambitieux en dépit d'une potentialité régionale tout à fait exceptionnelle.

Pour la ville, la multiplication des grandes opérations préventives principalement à Rouen et Evreux apportent depuis ces dernières années un renouvellement fondamental des connaissances sur la topographie des villes et leurs développements. Ces acquis nécessitent la mise en chantier à brève échéance de publications de synthèse.

Le haut Moyen Âge

Les travaux concernant le haut Moyen Âge ont été principalement centrés sur le domaine funéraire avec les fouilles de nécropoles (Criel-sur-Mer, Fallencourt, Longroy, Val-de-Reuil). Pour ce domaine, l'anthropologie de terrain apporte des informations totalement inédites sur ces populations et leurs rites funéraires. A partir des acquis anciens et récents, les recherches sur cette période devront s'efforcer dans un proche avenir de déboucher sur l'étude de l'habitat et des terroirs.

Le Moyen Âge

Les fortifications et l'habitat civil ont été étudiés dans les centres urbains à l'occasion de plusieurs sauvetages. Les chantiers du rectorat et de l'Espace du Palais à Rouen et ceux de la rue Saint-Pierre et de la Place de Gaulle à Evreux ont permis de préciser le tracé des remparts, leurs datations et d'en étudier avec précision les modes de construction.

Les fouilles qui s'achèvent aux abords de la cathédrale de Rouen ont livré des informations complémentaires sur l'agencement des bâtiments ecclésiastiques.

Les fouilles réalisées aux Andelys à Château-Gaillard, à Boscherville sur l'abbaye Saint-Georges et sur l'atelier de potiers de La Londe sont les principales opérations qui ont été menées en milieu rural.

L'époque moderne

Pour l'époque moderne, outre les travaux de terrain qui se sont poursuivis sur les ateliers des faïenciers rouennais, il faut souligner le démarrage des études sur la paléométallurgie par le biais de prospections (Pays de Bray) et de fouilles (Beaussault), et des opérations ponctuelles sur des fours de tuiliers (Vieil-Evreux, Auffay, Bourgtheroulde). Ces travaux apportent des contributions significatives qui, associées à des recherches d'archives, alimentent notre connaissance des techniques dans des contextes économiques particuliers et ouvrent la voie à des recherches sur les échanges commerciaux (réseaux d'approvisionnement et de diffusion) locaux, régionaux ou interrégionaux.


Résultats scientifiques significatifs

POSES - VAL-DE-REUIL

La fouille exhaustive de plusieurs dizaines d'hectares dans les carrières de granulats de la Seine (boucle du Vaudreuil) a révélé un ensemble de cinq sépultures collectives rapprochées toutes datées du Néolithique final. Ces découvertes portent à neuf le nombre de monuments du type « allées sépulcrales » connus dans la seule plaine alluviale de la confluence Seine-Eure.

L'étude de ces monuments, qui s'inscrit dans un programme de fouilles exhaustives sur de larges surfaces apporte une vision d'ensemble nouvelle et autorisent une analyse spatiale du phénomène.

On remarque d'une part, une grande régularité dans la disposition des cinq monuments qui se répartissent à intervalles réguliers selon une même courbe de niveau en bordure d'une zone de paléochenaux; d'autre part, qu'il s'agit toujours d’allées sépulcrales enterrées de dimensions très proches (10 à 15 m de long pour 2 à 3m de large).

YAINVILLE - « le Fossé-Saint-Philibert ».

La dernière campagne de fouille programmée entreprise sur ce site fortifié de fond de vallée confirme la complexité du système de fortification mis en évidence.

Le mobilier mis au jour, attribuable vraisemblablement à l’Âge du Bronze final, attesterait une origine plus ancienne que celle admise jusqu'alors (Âge du Fer).

SAINT-AUBIN-ROUTOT - « R.N. 15 ».

Mené dans le cadre de l'opération autoroutière A 29, un décapage étendu a permis la mise en évidence d'un établissement agricole du second Âge du Fer et d'isoler des structures à caractère artisanal (tissage).

VERNON - « Camp de Mortagne ».

La reprise des fouilles sur le site du camp de Mortagne permet d'attester l'existence d'un murus gallicus. Cette découverte invalide une nouvelle fois la thèse de Wheeler : le rempart de type Fécamp caractérisé par un talus haut et massif, précédé d'un large fossé et le murus gallicus ne correspondraient pas à des aires géographiques différentes mais bien à deux périodes.

ROUEN - « Rue des Carmes ».

Cette intervention d'étendue limitée livre d'une part des données nouvelles pour ce secteur de la ville antique: elle atteste la présence d'un vaste ensemble thermal public auquel se rattachent les éléments sculptés d'une colonne monumentale peut-être dédiée à Jupiter.

D'autre part, elle apporte des informations complémentaires sur le décor architectural de la Renaissance rouennaise (début XVIe siècle).

LONGROY - « La Tête Dionne ».

Cette fouille de sauvetage réalisée à la suite d'une découverte fortuite a permis de localiser une nécropole du haut Moyen Âge d'une richesse exceptionnelle.

L'étude du matériel confirme la présence d'une tombe de chef, des influences ostrogothiques et saxonnes.

LES ANDELYS - « Château-Gaillard ».

Les touilles menées en liaison avec les travaux de restauration du château ont été l'occasion de reprendre l'étude de l'ouvrage avancé. Celles-ci ont montré tout d'abord, que des informations pouvaient encore être tirées de ce site pourtant très bouleversé, et ensuite que les différents plans publiés comportaient des erreurs et des lacunes. Ainsi, les fondations d'une tour ont été reconnues.


Introduction