Arisitum
La saignée n’est nécessaire que dans quatre cas;
L’on connoît l’inflammation du sang, par les symptômes qui accompagnent les maladies que cette cause produit. J’en ai parlé, et j’ai en même-tems déterminé l’usage de la saignée dans ces cas. J’indiquerai ici les symptômes qui font connoître qu’on a trop de sang. C’est
Mais il faut bien se garder de décider sur un seul point de ces symptômes; il faut le concours de plusieurs, et s’assurer qu’ils ne dépendent point de quelque cause très-différente, et toute opposée au trop de sang.
Quand par ses symptômes on s’est assuré que ce trop existe réellement, on fait alors, avec de grand succès, une saignée, ou même deux. Il est égal dans quelle partie on le fait.
Quand ces circonstances ne se trouvent pas; la saignée n’est pas nécessaire. Et l’on ne doit jamais la faire dans les cas suivans, à moins qu’il n’y ait des raisons particulières, très-fortes, dont les seuls Médecins peuvent juger:
Dans tous ces cas et dans quelques autres moins fréquens, une seule saignée jette souvent dans un état absolument incurable, et les maux qu’elle fait ne se réparent point. Il n’est que trop aisé d’en trouver des exemples.
Dans quelqu’état que ce soit, quelque robuste que soit le sujet, si la saignée n’est pas nécessaire, elle nuit. Les saignées réitérées, affoiblissent, énervent, vieillissent, diminuent la force de la circulation, et par-là engraissent d’abord; ensuite en affoiblissant trop, et en détruisant enfin les digestions, jettent dans l’hydropisie. Elles dérangent la transpiration, et par-là rendent catharreux. Elles affoiblissent le genre nerveux, et par-là rendent sujets aux vapeurs, à l’hypocondrie, à tous les maux de nerfs.
L’on n’apperçoit point d’abord le mauvais effet d’une saignée; au contraire, quand elle n’est pas assez considérable pour affoiblir sensiblement, elle paroît donner du bien-être; mais, je le répete, il n’en est pas moins vrai que quand elle n’est pas nécessaire elle est nuisible, et qu’on ne doit jamais se faire saigner sans une bonne raison. L’on a beau dire que quelques jours après l’on a plus de sang, c’est-à-dire, l’on est plus pesant qu’auparavant, et qu’ainsi le sang est bien vîte réparé. Le fait est vrai; mais ce fait même, cette augmentation de poids après la saignée, dépose contre elle; c’est une preuve que les évacuations naturelles se sont moins bien faites, et qu’il est resté dans le corps des humeurs qui doivent en sortir. L’on a bien la même quantité de sang et au-delà, mais ce n’est point un sang aussi bien travaillé; et cela est si vrai que, si la chose étoit autrement, si quelques jours après la saignée on avoit une plus grosse quantité de sang semblable, on pourroit démontrer que quelques saignées jetteroient nécessairement un homme robuste dans une maladie inflammatoire.
La quantité de sang qu’on doit tirer dans une saignée de précaution, à un homme fait, est de dix onces.
Les personnes sujettes à faire trop de sang, doivent éviter avec soin toutes les causes qui peuvent l’augmenter. Et si elles sentent que le mal commence, elles doivent se mettre a une diete très-frugale de légumes, de fruits, de pain et d’eau, prendre quelques bains de pied tiédes, faire usage soir et matin de la poudre n° 20 (*), boire de la tisane n°1 (**), peu dormir, prendre beaucoup d’exercice; En prenant ces précautions, ou elles pourront se passer de la saignée, ou, si elles sont également obligées de la faire, elles en augmenteront et elles en prolongeront l’effet. Ces mêmes moyens servent aussi à éloigner tout le danger qu’il peut y avoir à omettre une saignée à l’époque ordinaire, quand l’habitude en est déjà invétérée.
L’on voit en frémissant que quelques personnes sont saignées dix-huit, vingt, ving-quatre fois dans deux jours; d’autres quelques centaines de fois dans quelques mois. Ces observations prouvent à coup sûr toujours l’ignorance du Médecin ou du Chirurgien; et si le malade en réchappe on doit admirer les ressources de la Nature, qui ne succombe pas sous tant de coups meurtriers.
Bien des gens pensent, et c’est un préjugé très-faux, que la première saignée sauve la vie. Il n’y a pour se convaincre de sa fausseté, qu’à vouloir regarder, et l’on verra tous les jours le contraire, et plusieurs personnes mourir après la première saignée qu’on leur fait. Si ce principe étoit vrai, il seroit impossible que personne mourut de sa première maladie, ce qui arrive journellement. Il est important de détruire cette prévention, parce qu’elle a des influences fâcheuses. La foi qu’on a à cette saignée, fait qu’on veut la garder pour les grands dangers, et on la differe tant que le malade n’est pas fort mal, dans l’espérance que si l’on peut s’en passer, on la conservera pour une autre occasion; Cependant le mal empire, on saigne, mais trop tard, et j’ai l’exemple de plusieurs malades qu’on a laissé mourir afin de réserver la première pour un cas plus important.
Notes:
(*) Poudre n° 20 : une once de nître partagée en seize prises.
(**) Tisane n°1 : prenez une poignée de fleurs de sureau, mettez-les ensuite dans une écuelle de terre; ajoutez-y deux onces de miel et une once et demie de bon vinaigre; versez sur le tout deux pintes d’eau bouillante; remuez un peu le tout avec une cuiller pour faire fondre le miel; couvrez l’écuelle, et quand la liqueur est froide, passez par une linge.
Source: "Avis au peuple sur sa santé, ou traité des maladies les plus fréquentes", par M. TISSOT, médecin, membre des Sociétés de Londres et de Bâle, etc.; seconde édition, augmentée sur la dernière de l'Auteur, de la description et de la cure de plusieurs maladies et principalement de celles qui demandent de prompts secours. Edité à Paris, aux dépens de P. Fr. DIDOT le Jeune, quai des Augustins, à Saint-Augustin, "Avec approbation et privilège du Roi", 1763, pages 542 à 549 (§ 636 à 643).