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L'ARCHEOLOGIE EN ALSACE (1993)
BILAN ET RESULTATS

(Bas-Rhin, Haut-Rhin)


Source: "Bilan Scientifique 1993", Ministère de la Culture et de la Communication, Direction Régionale des Affaires Culturelles d'Alsace, Service Régional de l'Archéologie, 1995, pages 6 à 9.


Bilan et orientations de la recherche archéologique (de François PETRY, Conservateur Régional )

L'année 1993 a été marquée par un nombre d'opérations de terrain en légère croissance par rapport à 1992, les moyens en personnel et en financement n'ont cependant pas progressé. Un changement important a été mis en route sur un plan plus large: le fonctionnement des services régionaux de l'archéologie en interrégion (Grand-Est : Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Lorraine; siège interrégional à Dijon): l'examen des dossiers de demande de fouille, le suivi scientifique se font ainsi plus près des régions.

Des relations plus étroites ont été développées avec l'AFAN (Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales) qui bénéficie d'une convention-cadre particulière avec l'État. Cette association a installé une antenne interrégionale à Nancy. Les premiers contractuels à durée indéterminée (CDI) ont été recrutés par l'AFAN sur avis d'une commission scientifique. La part des associations bénévoles qui oeuvrent dans l'archéologie régionale, quelquefois depuis une ou deux décennies, reste toujours importante.

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Recherche

La recherche programmée est restée dans la ligne des programmes et dans la limite des moyens des années antérieures. Les fouilles préventives ont été plus nombreuses (diagnostics et sauvetages compris), le hasard du choix des terrains par les aménageurs - et donc de leur occupation antérieure - déterminent les périodes devant être étudiées par les archéologues.

Une revue statistique portant sur une soixantaine d'opérations met en évidence quelques traits intéressants:

L'un des objectifs majeurs de l'archéologie régionale est la recherche d'une synergie plus grande, précisément avec les institutions. Des contacts en cours, fin 1993, pour assurer le suivi archéologique des travaux prévus sur le site du Mur Païen du Mont Saint-Odile annoncent des perspectives de collaboration bien plus développés.

Un autre aspect important est la synergie patrimoniale: des opérations de plus en plus nombreuses sont menées avec les Monuments Historiques. L'une des perspectives à développer est l'analyse des élévations, tant dans le cadre des études préalables que dans celui de la réalisation effective de travaux de restauration et de réfection.

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Carte Archéologique

L'équipe de la carte archéologique est restée, en 1993, la même qu'en 1992 : un chargé d'étude a disposé de 12 mois à temps plein, une technicienne de traitement de données a bénéficié de 12 mois à 3/4 temps, cette petite équipe étant dirigée par Mme Waton.

L'étude complémentaire et la mise à jour des dossiers communaux ont été développés. Une difficulté est venue du fait qu'il a fallu consacrer du temps pour répondre à des dossiers d'instruction de POS, de ZAC : le nombre de sites a progressé de quelque 1200.

Une demi-douzaine de mémoires de maîtrise et thèses ont été dépouillés ; l'abondance des revues locales a fait qu'il a fallu en dépouiller une cinquantaine. Les fonds de photographies aériennes (M. Goguey et Mme Lasserre) ont été intégrés, ainsi que les prospections et découvertes fortuites d'une équipe conduite par M. Jeunesse.

La cartographie régionale des communes mises à jour fait apparaître, en fin d'année, que les objectifs ont été globalement tenus : couverture complète du canton de Niederbronn (collaboration de MM. Croutsch et Prévost-Boure), une partie des zones sensibles (tracé du TGV-Est par ex. contrôlées). La couverture du Haut-Rhin est réalisée (révisée) par grands secteurs, désignés comme schémas directeurs : c'est le cas des communes de la bordure sous-vosgienne méridionale, d'une large zone à l'est de Colmar (canton de Neuf-Brisach).

Développer l'étude des secteurs sensibles (ainsi les zones futures d'aménagement) reste l'un des objectifs majeurs ; la collaboration entreprise avec succès pour les schémas directeurs du Haut-Rhin avec le Service Départemental d'Archéologie de cette collectivité sera à développer encore davantage. L'absence d'autres partenaires territoriaux, le personnel trop peu nombreux limitent cependant une action (par ex. contrôles systématiques de terrain) que l'on voudrait plus ambitieuse dans ce domaine.

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Prospection - Diffusion

Parmi les mesures de protection, on relèvera deux dossiers soumis à l'avis de la COREPHAE : celui du site paléolithique de Mutzig dont l'étendue et l'intérêt scientifique, vérifiés par une prospection thématique sur le terrain, ne cessent d'augmenter, et celui d'une vanne d'eau de 1685 remarquable - première réalisation des ingénieurs militaires français à Strasbourg - mise au jour sur le terrain du futur Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg. Le classement a été retenu pour Mutzig et l'inscription pour Strasbourg.

Dans le domaine plus particulier de l'élargissement des publics, on citera la réalisation d'opérations de communication : ainsi le colloque régional d'archéologie qui a regroupé 200 personnes ; plusieurs expositions ont été montées avec une collaboration active du service régional ainsi avec le Musée Archéologique de Strasbourg à Strasbourg, avec l'association A.P.R.A.A. à Bruebach (Haut-Rhin). En mai 1993, s'est achevée l'exposition "Vivre au Moyen Age - 30 ans d'archéologie médiévale en Alsace" "Leben im Mittelalter'', présentée initialement à Strasbourg, qui avait été exportée au Musée Historique du Palatinat à Spire (Allemagne) : elle a reçu 62000 visiteurs et plus de 2 000 catalogues (le catalogue - de 514 pages - avait été intégralement traduit en allemand) ont été vendus et diffusés.


Résultats scientifiques significatifs - PREHISTOIRE

Bas-Rhin

Le site archéologique de Mutzig "Rain" est une découverte de première importance pour la Préhistoire alsacienne : c'est le premier site stratifié d'un habitat de plein-air daté du Paléolithique moyen. II se situe dans la vallée de la Bruche, au pied des Vosges, où il occupe un petit escarpement rocheux sur le versant sud du massif du Felsbourg.

A proximité du site préhistorique découvert en 1992, un deuxième gisement, au lieu-dit "Rain", a été mis au jour à l'occasion d'une expertise archéologique de terrains ayant fait l'objet d'une demande permis de construire.

L'expertise s'est déroulée sous la forme de huit tranchées, taillées dans le versant. Les relevés stratigraphiques (sur 2,10 m de hauteur) ont montré que l'occupation humaine était particulièrement dense et importante : dans la tranchée 1, 22 niveaux différents ont été relevés sans que le terrain naturel (terrasse fluviatile de la Bruche) ait été atteint. La série lithique recueillie (outils, lames, éclats de débitage ...) s'élève à plus de 1500 pièces, dont une assez grande proportion de pièces présentant les caractéristiques du débitage Levallois. La faune, dans ce nouveau site, est également bien représentée, dans un bon état de conservation. Une dizaine de dents de mammouth sont en grande partie bien conservées, l'une d'elles est encore prise dans un fragment de mâchoire.

A Rosheim, au lieu-dit "Sandgrube", un demi-hectare traité en décapage extensif a livré une centaine de structures appartenant au Néolithique moyen (culture de Grossgartach) et au 1er Age du Fer. Les fosses de type "silo" dominent pour le Hallstatt ; elles ont livré un matériel céramique abondant attribuable à l'étape ancienne (Hallstatt C), une phase pour laquelle les mobiliers d'habitat restaient rares dans la région.

Au lieu-dit "Bischenabwand", les traces de deux occupations successives ont été révélées par un décapage extensif d'environ 3 500 m2. La première se limite à quelques fosses Roessen tardif (Néolithique moyen). La seconde, nettement plus développée, tire son intérêt de l'abondance des mobiliers et de sa position chronologique à la charnière de l'Age du Bronze et de l'Age du Fer.

Les structures se répartissent en effet entre le Bronze final IIIb et le début du Hallstatt ancien (Hallstatt C).

A Lingolsheim, l'extension de la gravière "Les Sablières Modernes" a conduit à la découverte d'une vaste fosse ovale, profonde de 4, 50 m, datée de Hallstatt C. Cette fosse a livré un matériel archéologique fort abondant, comprenant de nombreux récipients de stockage.

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Haut-Rhin

A Saint-Amarin "Finsterbach", dans le cadre d'un programme sur la diffusion des lames polies en roches noires vosgiennes, une prospection systématique du bassin hydrographique de la Thur a débouché au printemps 1993 sur la localisation d'une nouvelle zone d'extraction et d'exploitation. L'étude des restes de débitage des blocs de grauwacke-arénite, menée de concert avec un spécialiste de l'expérimentation, a permis d'identifier une technique dominante basée sur la production de longues lames régulières. De la sélection des blocs au façonnage des ébauches sur lames, toutes les phases de la chaîne opératoire ont été reconnues sur place.

Un très haut niveau de savoir-faire a pu être mis en évidence qui suppose l'intervention sur le site, vers la fin du Vème millénaire av. J.-C., de spécialistes déjà aguerris. Avec la carrière haute-saônoise de Plancher-les-Mines, étudiée en 1991-1992, la zone d'exploitation de Saint-Amarin constitue un ensemble documentaire de premier ordre au niveau européen. Une procédure de classement est en cours pour en assurer la préservation.

En début d'année 1993, ont été achevées les observations sur le rond-point nord de Sierentz '"Zone Artisanale" : l'habitat néolithique rubané se développait également dans le secteur ultérieurement occupé par une bourgade romaine. L'année 1993 a été consacrée à l'exploitation des données sur l'habitat néolithique de Sierentz dont les résultats sont de haut intérêt.

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Résultats scientifiques significatifs - HISTOIRE

Bas-Rhin

A Bourgheim, agglomération secondaire du 1er à la fin du IIème siècles, la dernière phase du lotissement "Burggartenreben", dont on avait suivi en 1992 les travaux de viabilisation, a permis d'élargir les observations au réseau des voies de circulation intérieures. A l'occasion de la construction de deux pavillons ont été étudiés un nouveau tronçon de rue et les fondations en pierres des habitations riveraines. Les couches inférieures attestaient une occupation laténienne.

Diverses opérations ont été conduites à Koenigshoffen, faubourg de Strasbourg correspondant au site de l'agglomération civile antique d'Argentorate, dont le Decumanus Maximus est conservé sous la route des Romains, principale artère du faubourg. Au n°53, une fouille de sauvetage a permis de poursuivre L'étude des abords de la voie romaine : comme au chantier du "Péridot" (Bilan 91), on a retrouvé le fossé latéral sud du 1er aménagement de la rue et reconnu les installations du IIème siècle, particulièrement marquées dans le sol par l'alignement des caves empiétant largement sur la chaussée.

Trois autres interventions - deux rue des Comtes et une rue des Capucins - ont porté sur les nécropoles situées à l'arrière de l'habitat. Des tombes isolées ainsi que des tombes groupées ont permis d'observer la grande variété des rites funéraires, tant dans les incinérations (enfouissement d'urnes en pleine terre ou usage de cistes en pierre) que dans les inhumations (orientation irrégulière). Rue des Capucins fut mis au jour le soubassement d'un monument funéraire du 1er siècle qui recouvrait la fosse d'une tombe à incinération ; la présence de nombreuses tuiles estampillées de la VIIIème Légion en remploi dans la maçonnerie suggérait la proximité de la tuilerie légionnaire. Le décapage d'un chantier voisin, dans le cadre d'un diagnostic, a révélé la présence de fondations de hangars, attribuables aux installations de cette tuilerie.

A la faveur de ces nouvelles données, il est possible de corriger le schéma du plan de répartition des nécropoles antiques de Strasbourg-Argentorate.

A Strasbourg, rue Hannong, une fouille de sauvetage préalable à la construction d'une cité universitaire a permis de mettre en évidence le phasage de l'occupation romaine qui s'est faite en deux temps dans ce secteur : la partie nord a été occupée dès les débuts de l'établissement romain à Strasbourg (1ère décennie du 1er siècle), une extension vers la partie sud se faisant après le milieu du IIème siècle. Dans le même secteur, ont été mises en évidence des traces de la vie médiévale (fosses du XIIIème siècle, latrines du XVème siècle etc.).

Lors de la réhabilitation (ENA) de la Commanderie Saint-Jean/ancienne prison Sainte-Marguerite, ont été reconnus des vestiges épars du couvent des Trinitaires fondé en 1225 ; lui a succédé en 1372 le couvent des Johannites détruit en grande partie en 1633. Les fouilles ont mis au jour L'ensemble des fondations de ces bâtiments conventuels permettant de redresser un plan levé lors de la démolition en 1633. Un réseau de galeries souterraines transformées en égout a été retrouvé.

L'étude d'un lot important de céramiques des XVIème-début XVIIIème et de carreaux de poêle du XVème permettra d'affiner la datation de ces objets de la vie quotidienne.

En bordure de l'ancienne prison Sainte-Marguerite, la fouille, préalable à l'excavation pour la construction du parking souterrain du futur musée d'Art moderne, a permis de reconnaître les limites sud du couvent des Johannites qui s'étendait jusqu'au mur d'escarpe édifié à la fin du XIVème. Un aqueduc souterrain du XVème servant à alimenter les viviers de la Commanderie a été largement suivi. Le mur de contrescarpe a pu être daté des années 1630, un bastion avancé de 1673 et la crèche de fondation d'un système de vannes d'eau (démonté pour être montré dans les aménagements futurs) date de 1685 (datation par analyses dendrochronologiques). Sur l'un comme l'autre chantier, les fondations des anciens abattoirs du XIXème (plots bétonnés) avaient peu perturbé les vestiges antérieurs.

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Haut-Rhin

A Kembs, rue des Prés, la réalisation d'un lotissement ("Les Bateliers 1ère tranche) a touché la partie est du noyau central du vicus de Cambete (dont la partie la plus importante a pu être mise en réserve archéologique). Les fouilles réalisées ont mis en évidence trois phases d'occupation, du milieu du 1er siècle après J.-C. au IIIème siècle, caractérisées par des variations légères de plan, et des techniques de construction différentes. Plusieurs "lots" antiques ont été reconnus : les fouilleurs ont pu observer des traces d'activités artisanales (textiles notamment).

Aux Dominicains de Guebwiller, à l'occasion de travaux préliminaires à une réalisation de cet important ensemble conventuel, des observations ont pu être faites dans l'église du XIVème (sépultures, traces d'aménagements liturgiques) et dans le jardin du cloître notamment, utilisé du XVème au XXème siècles. Le jardin était traversé de canalisations de diverses époques et son centre occupé par les vestiges d'une installation industrielle du début du XIXème siècle (grand four de plan tréflé à cheminée).


Introduction