Arisitum Jean-François-Xavier DE MENARD (suite)


Le lendemain de son élection à ces dernières fonctions, le 13 juin, Ménard écrivit de Nîmes, à d'Albignac, au Vigan :

« Oui, mon cher d'Albignac, vous devez justice à mon patriotisme, je le professe ouvertement, et il faut être mauvais citoyen et homme peu sensé pour adopter des principes contraires. Cette vertu que j'ai manifestée vient de me mériter, de la part de l'assemblée, un hommage bien flatteur, celui d'être nommé administrateur du département. A ne consulter que le témoignage de mes talents, j'eusse refusé cette place; mais une bonne volonté décidée, du zèle et un désir extrême d'être utile à ma patrie, ont imposé silence à ma modestie. Ainsi, me voila privé du plaisir de me voir rapproché de vous par la voie du district (39) . Vous connaissez assez mon amitié pour vous pour être assuré que cette raison eût été pour moi un surcroît de satisfaction et ma position s'en fût bien mieux accommodée; il me tarde, je vous l'assure, d'être au moment où nous viendrons l'établir (40) , je vous embrasserai de bon coeur et je le fais ici par anticipation... » (41) .

Ménard reçut bientôt une nouvelle marque de distinction et de confiance de la part de ses collègues, qui le nommèrent membre du directoire du département. En cette qualité, il prit une part active aux travaux de notre première administration départementale. Si les registres de délibérations nous permettent de constater qu'il s'absenta du 18 août au 3 septembre 1790, du 11 janvier au 15 février, du 23 février au 2 mars, du 31 mai au 17 juin, du 29 juin au 1er juillet et du 27 août au 3 septembre 1791, pour se rendre à Sumène où l'appelaient ses affaires personnelles, par contre ces mêmes registres établissent que Ménard fut honoré par ses collègues de missions importantes.

Ainsi, le 25 octobre 1790, il est chargé, avec J. Julien Trélis, de se rendre « sur le champ à la ville de Carpentras, pour y vérifier par eux-mêmes et de concert avec les commissaires des départements de la Drôme et des Bouches-du-Rhône, tous les faits relatifs aux mouvements qui ont eu lieu dans le Comtat Venaissin, à l'effet de quoi, - ajoute le procès-verbal, - ils se transporteront également soit à Avignon, soit dans telle ville du Comtat ou dans telles municipalités de France qui l'avoisinent, suivant ce qu'ils jugeront convenable », et de rendre « compte à l'Assemblée nationale et au Directoire des faits qu'ils auront vérifiés et des notions qu'ils auront recueillies, à quoi leur mission demeure expressément limitée » (42) . Le 27 décembre de la même année, Ménard et Lagarde, président du district de Nîmes, reçurent du directoire du département la mission de se transporter « sans délai dans l'église cathédrale de Nîmes, en qualité de commissaires du département, pour y mettre à exécution les dispositions de l'instruction délibérée par les Comités réunis de l'aliénation des biens nationaux et des affaires ecclésiastiques, annexé au décret du 6 novembre et approuvée par le roi » (43) . Le 15 février 1791, lors des troubles d'Uzès qui préludèrent au soulèvement des insurgés de Jalès, David et Ménard reçurent l'ordre de se « rendre incessamment à Uzès avec mission expresse de tenter toutes les voies de conciliation pour faire cesser les désordres qui désolent cette cité, - dit le procès-verbal, - et rapprocher les esprits divisés »; ils furent chargés « de faire toutes dispositions nécessaires pour parvenir à connaître les auteurs et fauteurs des troubles, les réprimer. et s'en assurer, s'il y a lieu, et enfin mettre en usage tous les moyens que leur sagesse leur suggérait »; et, à cet effet, le directoire requit « les gardes nationales, maréchaussées et troupes de ligne du département » qui se trouvaient à Uzès, « de déférer à toutes les réquisitions de MM. David et Ménard et de se conformer à toutes les dispositions qu'ils jugeraient convenables au succès de leur mission » (44) . Enfin, le 11 mars suivant, alors que Malbos, l'un des chefs du camp de Jalès, s'était évadé de la citadelle de Pont-Saint-Esprit, le directoire invita Bigot, l'un des commissaires civils envoyés par le roi dans le département, et Ménard, à se rendre dans cette ville « pour prendre tous les renseignements nécessaires », ordonner la translation des autres prévenus à Alais et « faire toutes les dispositions utiles pour le maintien de la tranquillité et de l'ordre public » (45) .

Ajoutons qu'il se fit remarquer par son activité et ses aptitudes particulières pendant la première session de l'assemblée administrative du département tenue à Nîmes, du 3 novembre au 11 décembre 1790 (46) .

Le 20 septembre, Ménard avait écrit de Nîmes au général d'Albignac :

« Pour le coup, c'est moi, mon cher d'Albignac, qui suis le soldat et vous le général (47) ; in petto je vous ai proclamé tel à dix lieues de distance et j'étais tout entier dans l'esprit et le coeur de notre vaillante milice de Sumène lorsqu'elle criait de toutes ses forces : Vive notre général ! Je regrette aussi de n'avoir point vu manoeuvrer dans cette brillante journée nos illustres capitaines Du Fesq et Massannes (48) ; ma foi, si M. le major eût été pour quelque chose dans cette partie, il fût plutôt monté sur un âne que de rester dans la poussière. Ah! la plaisante tournure que devaient avoir ces gaillards-là. Ne vous prendrait-il pas fantaisie d'étendre votre généralat jusque dans ce pays-ci ? On vous y désirerait, je le sais; vous y feriez du bien, j'en suis sûr; en mon particulier, j'en serais enchanté; mais, d'après votre dernière lettre, la chose ne paraît point être de votre goût. Les commissaires du roi (49) et M. de Clausonnette ont reçu leur démission (50) ; cette ville a besoin cependant d'une puissance militaire, absolue et indépendante; il n'est que le spectacle constant d'une force évidente qui puisse la contenir; aussi présume-t-on qu'on y enverra un officier général indépendant de M. de Bouzols (51) : là, franchement, je désirerais de tout coeur que ce fut vous; nous nous amuserions, et vrai j'en sentirais moins le fardeau qui m'accable ».

D'Albignac dut changer d'avis, car Ménard fit adopter, le 3 novembre, par l'assemblée administrative du Gard, un voeu tendant à ce qu'un officier général fût placé par le roi dans le département (52) ; il eut la satisfaction de voir, quelques jours plus tard, la réalisation de son désir :

« M. Ménard, - écrivit-il le 19 novembre à d'Albignac,- fit la motion à la première assemblée de demander au roi et à l'Assemblée nationale qu'il fût placé â Nîmes un officier général indépendant de M. de Bouzols. Il désirait vivement que ce fût M. d'Albignac, et aujourd'hui il apprend avec la plus vive joie qu'il a été effectivement nommé. Je ne vous parlerai point de ma propre satisfaction à vous voir accepter une place qui doit me rapprocher de vous, paroles inutiles que tout cela. Mais je dois vous communiquer celle qu'ont invoqué tous les membres de l'Assemblée lorsqu'ils ont appris cette nouvelle. J'en ai joui pour vous et j'ai déjà reçu bien des compliments pour votre compte. Je désire, mon cher d'Albignac, vous exprimer bientôt de vive voix l'intérêt que je prends à cet événement si agréable pour moi en particulier, et si utile à toute cette contrée fanatique qu'une force bien intentionnée contiendra cependant avec beaucoup de facilité, malgré tout ce qui se débite sur les dispositions hostiles de ses habitants. Le mot de massacre n'y signifie plus rien à force d'être répété, et la peur est encore plus forte que la volonté de nuire. Ainsi, je crois que la commission sera moins pénible qu'on l'imagine, et je suis sûr que si on eût employé ce même moyen il y a six mois (53) la tranquillité n'eût jamais été troublée dans cette ville et ses environs. Adieu, Monsieur le général, nous trinquerons donc à la santé de la nation, car je repousse toute idée de refus de votre part... » (54) .

Ménard avait raison: d'Albignac, - il l'a dit lui-même plus tard, - s'était livré « au premier coup de cloche de la Révolution », qu'il servit, d'ailleurs, en bon patriote.

Quoi qu'il en soit, Ménard, favorisé par le tirage au sort du 25 juin 1791, devait rester une année encore membre du directoire du Gard; mais le 8 septembre, l'assemblée électorale du département, réunie à Nîmes, le nomma, par 353 voix sur 423 votants, député à la Législative, et on pourvut à son remplacement, comme administrateur, quelques jours après.

IV.

Comme député, Ménard continua à s'occuper, à Paris, des affaires départementales: nous n'en voulons pour preuve qu'une lettre qu'il adressait à Sugier, son ex-collègue, le 17 décembre 1791, au sujet de la nomination d'un ingénieur (55) .

Mais son rôle politique fut bien effacé. Le Moniteur ne nous dit pas qu'il ait abordé la tribune. Cependant les questions à l'ordre du jour ne le laissèrent pas indifférent. C'est ainsi qu'il manifesta, principalement, son « opinion sur les moyens de faire cesser les troubles religieux » qui agitaient la France: quarante orateurs avaient parié sur les « prêtres non-sermentés »; aucun n'avait traduit exactement la pensée de Ménard: il craignit que la discussion fut fermée avant qu'il eût pu prendre la parole à son tour d'inscription; le 31 octobre 1791, il fit imprimer les observations suivantes qu'il avait à présenter:

Messieurs, de toutes les parties du royaume s'élèvent des plaintes infiniment graves contre les ecclésiastiques séditieux. La voix du fanatisme sera toujours puissante sur les esprits faibles, et la crédulité ignorante une arme victorieuse entre les mains de l'homme méchant. L'Assemblée nationale, en attaquant les désordres de toute espèce, qui poussaient à sa ruine l'Empire français, a dû arrêter ses regards sur l'organisation civile du clergé; elle a dû vouloir porter le flambeau dans ce chaos de dispositions non moins contraires à la lettre et à l'esprit de la religion chrétienne qu'à la saine raison et à l'ordre public, sur les débris des préjugés et d'antiques erreurs. Elle a posé l'édifice d'une grande réforme. Cette violente secousse a jeté l'étonnement dans les esprits: les opinions ne se déplacent que par des mouvements progressifs; elles ne parviennent à la réforme qu'en parcourant des nuances insensibles, et celles surtout qui intéressent la religion ont besoin de ce ménagement.

L'établissement de la constitution civile du clergé, et le serment de s'y soumettre, furent un procédé trop tranchant pour un peuple vieilli dans le ministère des prêtres. En arrêtant ses anciennes opinions par une trop grande surprise, il s'est formé dans ses facultés antérieures un vide que l'homme méchant a su adroitement occuper; il a jeté la terreur dans ces âmes timides; et, par le fanatisme le plus coupable, il a formé contre la patrie cette association perfide de l'homme criminel dans ses vues avec le citoyen égaré par sa crédulité. Le progrès des lumières, favorisé par la liberté de la presse, l'influence d'une constitution libre, deviendront sans doute, un remède à cet égarement dérivé d'une trop grande précipitation; mais la lenteur du moyen peut le rendre nul à l'égard d'une nature violemment agitée. Ces effets ne peuvent lutter contre la ruse, la mauvaise foi et la malignité active des ennemis de la Révolution: i1 est donc prudent de se défendre de cette sécurité que la raison inspire, mais que les circonstances prohibent. En fixant nos regards sur cette discorde religieuse, si digne de mépris et pitié dans des temps plus tranquilles, je pense qu'il faut éviter, et la négligence à remédier à ce désordre, et la trop grande rigueur des moyens. Oui, messieurs, n'écoutons qu'avec mesure le juste ressentiment que provoquent contre eux ces impies, couverts du manteau de la religion pour persécuter leur patrie. Jusque ici, ils ont été forcés de simuler aux yeux du peuple un état de douleur, pour s'attacher sa sensibilité.

L'Assemblée nationale constituante, en décrétant que les prêtres non-sermentés jouiraient d'une pension de 500 livres a déconcerté leurs spéculations criminelles sur la crédulité des hommes simples. Ce bienfait excite leur dépit en arrachant à leur hypocrisie le moyen d'émouvoir par l'exposition d'une misère réelle: ils eussent voulu le repousser, ce bienfait; ils désirent que vous le révoquiez, que vous exerciez sur eux ces mêmes traitements impolitiques adoptés dans quelques départements. Mais, messieurs, ce serait peu connaître les passions des hommes; ce serait ignorer le jeu, les ressources du fanatisme: les murs qui renfermeraient ces hommes coupables deviendraient bientôt un objet d'idolâtrie. Par leur réunion et par leur gêne, vous établiriez un foyer continuel de secousses et d'explosions. Voilà, ce que nous dicte une juste politique. Consultons encore la raison et la loi. La raison nous dit que le législateur civil n'a pas, ne peut avoir d'autre objet que la prospérité temporelle des sociétés et que toute action qui n'est pas une infraction à ces lois, dans l'observance desquelles consiste l'ordre public, ne trouble nullement cet ordre. Que nous dit la loi ? Elle veut que nul ne puisse être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu qu'elles ne troublent pas l'ordre public. Il est évident que, sans cette liberté de professer un culte quelconque, celle des opinions serait vaine. Par cette loi, la liberté du culte est accordée aux prêtres non-sermentés comme aux calvinistes et aux juifs: ceux-ci en jouissent, pourquoi la refuseriez-vous aux premiers ? Est-ce parce qu'ils prêchent contre votre constitution civile du clergé ?

Autant en font ceux-là, ainsi que tous ceux qui ont une constitution ecclésiastique essentiellement différente de la vôtre. Notre constitution a, pour une de ses bases fondamentales, le caractère épiscopal. Les calvinistes rejettent ce caractère comme inutile et contraire à l'esprit du christianisme. Les juifs vont bien plus loin. Toute notre constitution du clergé repose sur la révélation divine faite aux hommes par Jésus-Christ; les juifs le regardent comme un imposteur, et sa révélation comme une impiété: or, si vous ne faites pas des lois réprimantes contre les juifs et les calvinistes, qui gêneraient la liberté de leur culte, pourquoi en feriez-vous contre les prêtres non-sermentés dont la constitution ecclésiastique sera toujours infiniment rapprochée de la nôtre ? Ainsi, tant que ce prêtre non-conformiste restera renfermé dans ce cercle religieux, quelles que soient ses intentions, vous n'avez d'autre droit que celui de le surveiller, sans porter atteinte à cette constitution que vous avez juré de maintenir. Mais toute la rigueur des lois doit frapper le sectaire qui enseigne la désobéissance aux autorités constituées. Celui qui professe la discorde et la rébellion est ennemi de toute société et du suprême ordonnateur de l'univers: il doit être soigneusement observé sur les limites de ce domaine libre de sa pensée et la rigueur de son châtiment doit compenser l'impunité du coupable qui sait adroitement se voiler de cette liberté des opinions. Mais non seulement nous devons nous armer de rigueur contre ces ennemis de la société, il faut encore affaiblir dans leurs mains les moyens de nuire. Quelles sont les ressources puissantes du prêtre fanatique pour égarer le peuple ? C'est, messieurs, un acte très impolitique dans le principe, quoiqu'il parût prescrit par des circonstances impérieuses, et qui continue à être dans les mains des prêtres impies, coalisés avec les ennemis de la Révolution, une arme dangereuse.

Sans le serment exigé des fonctionnaires ecclésiastiques, jamais cette scission, si fatale à l'ordre public et à l'affermissement de la constitution, n'eût existé entre les citoyens d'une même patrie. Sous ses auspices, l'ignorance et la mauvaise foi ont fait un pacte: et il n'est aucune partie du royaume qui n'ait éprouvé les funestes effets de cette déplorable coalition. Rompons ce lien qui attache deux êtres si fort en opposition par leurs principes, et vous verrez bientôt le citoyen crédule revenir à son premier enthousiasme pour la liberté, et l'imposteur privé de ses dernières ressources. Empêchez le ministre sacrilège de faire envisager au peuple le serment comme un acte hérétique imposé à sa conscience; n'exigez plus de lui cette manifestation extérieure de ses principes: tous ces actes publics, en frappant les sens, mettent plus facilement l'homme simple à la disposition de celui qui veut en abuser. Achevez, messieurs, de diviser les éléments de ce chaos mystérieux dont la confusion et l'obscurité faisaient la force; rendez aux magistrats civils la transcription des actes de naissance, de mariage et de décès; c'est encore un de ces rapports du prêtre au citoyen, étrangers à son ministère: ils ont toujours abusé de cette attribution vicieuse, et les ennemis de la Révolution en ont fait dériver la cause d'un désordre public. Sans doute, plusieurs inconvénients sont attachés à la suppression du serment; mais lorsque l'objet en est environné de toutes parts, la sagesse consiste à préférer les moindres. L'expérience a démontré que la condition de s'y soumettre a nui essentiellement à l'établissement de la constitution civile du clergé: les évêques, il est vrai, travaillaient à égarer les esprits par de savants et d'immenses écrits; mais ils étaient trop justement accusés de défendre leurs intérêts et non ceux de la religion, pour qu'ils pussent s'attacher l'opinion du peuple. Cette marche était trop lente, trop embarrassée; jamais elle ne les eût menés à leur but; leurs passions l'eussent fait avorter: il n'en fût résulté qu'une discussion théologique ennuyeuse pour tout le monde, et la plus grande réforme se fût opérée sans secousse. L'obligation du serment fut plus efficace; elle précipita cette opinion du peuple par l'influence plus rapprochée de ses ministres ordinaires: et une fois entraîné, il a été facile de l'y maintenir.

Vous me direz qu'il résultera de cette composition de deux espèces de fonctionnaires, sermentés et non-sermentés, une discordance dans l'organisation du culte: d'abord, Messieurs, elle existe, cette discordance. Beaucoup de départements ayant manqué de sujets pour les remplacements, vous ignorez même si ces moyens deviendront plus faciles; et précisément les dispositions que je vous propose tendent à un rapprochement et à établir même l'unité. J'établis d'abord qu'en exemptant les prêtres du serment, il s'en présentera pour occuper des places; ordonnez ensuite que ceux qui ne sont pas remplacés seront payés par les habitants de la commune, jusqu'à ce qu'ils aient fait parvenir au directoire du district l'intention d'avoir un autre ministre élu d'après le mode de la constitution et du clergé: bientôt l'intérêt fera taire le fanatisme, et vous verrez cette volonté, si opiniâtre, céder à la loi par la force de ce mobile. Une affection isolée communique toujours une impulsion violente; opposez-lui une affection contraire, il résultera du choc une lenteur qui adoucit le mouvement; et lorsqu'une passion telle que le fanatisme ne fait plus de progrès, elle se calme, elle cesse. On objectera encore que la suppression du serment serait une action rétrograde, funeste à l'opinion.

Ce raisonnement, je le soutiens, est plus celui de l'amour-propre que de l'amour du bien. Si l'opinion publique a déjà jugé, par le résultat, l'obligation de prêter ce serment, impolitique, je ne sais ce qu'on pourrait entendre par les fâcheux effets de ce pas rétrograde. Mais je prétends, au contraire, que c'est un moyen de réhabiliter cet acte impolitique avec l'opinion. Le serment, comme une loi fixe et absolue, sera toujours funeste; comme loi momentanée, il a pu être utile. Il vous a déjà donné une masse considérable de prêtres constitutionnels qu'il eût fallu longtemps attendre d'une lente réforme des opinions; mais, pour profiter de cette efficacité momentanée, il faut se presser d'en arrêter la cause. Les inconvénients qui résulteraient de ce changement de disposition à l'égard des prêtres qui ont prêté le serment n'ont pas toute la force qu'on leur suppose. Tous les évêques étant remplacés, il existerait uniformité de condition dans le corps épiscopal. L'abolition du serment rendrait pareillement uniforme les rapports des curés qui ont conservé leurs places par leur soumission à la loi, et de ceux qui n'ont pu être remplacés par défaut de sujets. Celui seul qui a été promu au siège devenu vacant par la résistance de son prédécesseur serait dans un rapport plus difficile. Une loi protectrice et surveillante, l'estime et l'appui de tous les amis de la constitution, le changement des opinions, opéreraient bientôt ce dernier rapprochement (56) .

L'opinion de Ménard ne prévalut pas en ce qui concernait la constitution civile du clergé et la suppression du serment exigé des prêtres. Mais il convient de constater que le député du Gard fut l'un des premiers, sinon le premier, à demander que la constatation des naissances, des mariages et des décès fût enlevée au clergé pour être confiée aux officiers municipaux (57) .


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