Arisitum LES CEVENNES VIGANAISES EN 1786-1787 (suite)


Dans le département du Vigan sont les villes d'Anduze, Saint Hipolite, Sauve, Meirueis et Le Vigan, et plusieurs gros lieux et bourgs considérables, qui sont entr'autres Sumène, Saint Laurent, Lasalle, Saint André de Valborgne, Saint Jean de Gardonnenque, Valleraugue et Pompignan. Anduze est situé sur la rivière du Gardon, et sur la route de Montpellier en Gévaudan; elle a le titre de baronnie, elle contient 5200 habitans. Saint Hipolite est une ville de commandement, placée dans une plaine assés vaste, près la source du Vidourle; elle n'étoit anciennement qu'un bourg qui prit le titre de ville lorsque le Roy, après la révocation de l'Edit de Nantes, l'eut fait meurer et fortifier, et y eut fait construire un fort, ce qui fut fait en 1639; depuis, il y a constamment garnison; la ville ou sa parroisse contiennent 4800 habitans. Sauve est très mal situé, sur le penchant d'une roche escarpée, a coté de la rivière du Vidourle; il renferme 2800 habitans. Meirueis est situé dans un petit valon et sur le penchant de la montagne de l'Esperou; il y avoit anciennement un chateau fortifié qui fut razé en 1629; cette ville contient 2138 habitans.Aucunes de ces villes ne jouit d'aucunne immunité, ny d'aucun privilège particulier. En donnant la position de la ville particulière à la subdélégation, l'on a donné la situation de la ville du Vigan, l'on y reviendra plus.


habitat dispersé (commune de Valleraugue)

Là ou la Nature refuse tout, il faut se procurer tout par une industrie toujours agissante. C'est cette industrie active, joint à une frugalité extrème qui, dans ce diocèse dont le territoire est très borné, eu égard à sa population, et d'ailleurs ingrat et stérile dans plusieurs de ses parties, fait pour ainsy dire l'unique avantage de ses habitans. La soye est une des principalles ressources des villes et des gros lieux qu'il renferme, et du diocèse en général. C'est cette denrée qui, a proprement parler, entretient et anime par elle seule l'industrie; parce que susceptible d'etre exportée, soit en cru, soit en bas qu'on en fabrique, elle attire et procure du numéraire. Une autre ressource, c'est le commerce, non un commerce en grand, qui demandent de gros fonds et un grand crédit, mais un commerce borné de petites fabriques, des manufactures de peu de conséquence, telles que la basserie, la bonneterie, la megisserie, la tannerie, la fabrication des étofes grossières de laine, des tonneaux, des cercles, quelques manufactures de chapeaux, quelques mines de charbon de pierre.

Une ressource encore pour la subsistance, sont les chataignes, les fruits, principallement les pommes, dont le revenu est cazuel, les pommes de terre, les raves et les navets, quand ces deux dernières denrées réussissent, et pendant les deux mois qu'elles peuvent durer, elles épargnent au paisan la moitié du pain qui est nécessaire à sa subsistance. On peut compter aussy pour ressource dans le diocèse, la multiplicité des récoltes qu'on y fait pendant les trois quarts de l'année, et dont la suite non interrompue depuis le mois d'avril jusqu'à la fin de décembre, fournit des secours, procure du travail et, par là, des moyens de subsistance. Mais sy l'industrie des Cévenols ainsy exercée sur les soyes, dans leur petit commerce et dans leurs petites manufactures, appelle dans le diocèse quelque numéraire, il est certain d'un autre coté, que le besoin d'achetter presque en entier toutes les denrées de première nécessité, leur en enlève bientot une grande partie. Le sol ne produit pas au delà du tiers de ces denrées de première nécessité, et sy les chataignes ne nourrisoint la moitié de l'année la plus grande partie de ses habitans, les grains quy sy receuillent a peine fourniroint le quart de leur nourriture.


très vieux châtaigniers (place du Vigan)

C'est un diocèse quasy nul pour les grains, par conséquent, c'est dans ces contrées que la circulation du numéraire devroit etre portée, pour favoriser et entretenir l'industrie et l'activité quy y regnent, et quy sont les seuls appuis d'un païs quy presque tout factice seroit bientot détruit sy le découragement prenoit la place de l'activité.

Ce diocèse, ainsy que nous venons de le faire sentir, n'existe et n'a de valeur que par l'industrie active, le travail opiniatre et la parcimonie étroite de ses habitans. Il manque presque de toutes les denrées de première nécessité. Lagriculture en grains est pénible, couteuse et peu revenante; le diocèse, comme on la déjà dit, est situé en grande partie sur le penchant des montagnes ou des valons très reserés. Les valons sont destinés pour les prairies, les meuriers et les arbres fruitiers, peu pour les grains. C'est ordinairement sur le penchant des montagnes ou dans les plaines étoites et pierreuses quy sont au sommet de ces montagnes quon en cultive. La charrue ne fait rien dans la plupart de ces endroits. Il finit que les bras de l'omme la suplée presque partout. D'un autre coté, la légèreté et la maigreur du terrein ne permet d'y semer du froment que de quatre en quatre ans, et le force au repos la troisième année. Les eaux lavent, épuisent, entrainent les terres; les intempréies de l'air et des saisons se font plus sentir dans ces endroits élevés que dans les endroits bas; les préjugés des laboureurs leur font mépriser la méthode utille de préparer les grains de semence que le gouvernement leur a offert en différents coins, et delà des récoltes modiques, cazuelles, ou des grains mauvais ou corrompus.

Quant aux prairies naturelles, elles sont presque toutes situées dans les valons et au bord des rivières, et comme ces valons sont fort étroits, ces prairies sont exposéees à des innondations fréquentes qui causent des dommages très considérables aux propriétaires en déteriorant leurs fourrages, détruisant les murs de cloture, et emportant fréquemment et leur terrein et les chaussées destinées a y dériver les eaux. Il y a des fourages artificiels dans certains endroits du diocèse, tels qu'Anduze et ses environs, Sauve, Saint Hipolite, Meirueis et Alais. L'on sème dans ces endroits de la luzerne quy est une plante qu'on fauche quatre ou cinq fois tous les ans, mais quy ne réussit que dans des terreins gras et limoneux. L'on y sème encore l'esparcette qui vient sur des sols maigres et légers, qu'on fauche deux fois par an, et qui à la qualité de bonnifier le terrein. Il seroit à désirer, pour l'augmentation des fourages, objet quy devient de jour en jour des plus importants, que sur le Causse et dans d'autres païs secs et arides, ou l'on ne peut pas faire des pairies naturelles par le défaut d'eau, on y supléat par les prairies artificielles, mais comme presques tous les domaines y sont afermés, le fermier est peu jaloux de faire la dépense et de sacrifier un champ a une prairie artificielle, dans la crainte que le fermier quy le remplacera n'en retire le profit par les fourages ou par le défrichement de ce champ que la prairie artificielle aura bonnifié.


Un attelage des montagnes

Dans ce moment, le prix commun du bled froment est à 17 livres le sétier, pesant poids de marc 124 livres. Le seigle et conseigle a 12 livres le sétier, pesant poids de marc 108 livres. L'orge ou la palmoule a 11 livres, pesant poids de marc 108 livres. L'avoine 6 livres pesant de meme poids 75 livres. Le foin se vend à raison de 50 à 55 sols le quintal poids de marc. L'on observe, au surplus, que comme dans ce diocèse l'agriculture est dans un état forcé, il est essentiel de la protéger et de l'encourager sy l'on ne veut voir bientot décroitre ses productions de toute espèce. Les seuls moyens d'encouragement sont, d'abord d'accorder certaines faveurs à la classe des laboureurs, soit du coté des impots en adoucissant leur cottes de capitation et d'industrie, soit du coté du sort, et ensuite de favoriser la fabrique des bas de soyes, parce que sy elle ne se soutient pas, l'agriculteur qui vend sa denrée à un bon prix, abbandonnera la culture des meuriers, quy est le Pérou des Cévennes.

Les bestiaux propres au travail de la terre ne sont pas aussy rares dans le diocèse d'Alais que dans d'autres, par la raison que les boeufs et autres bettes à cornes n'y ont pas été sujets à l'épizootie. La rareté cependant qu'on peut y remarquer, dans certains endroits, vient de la rareté de l'espèce; il a péri dans les diocèses voisins beaucoup de bettes à cornes par les maladies des bestiaux; de la sortie considérable qu'il s'en fait du diocèse, depuis quelques années, et qu'on mène à Toulon et dans d'autres villes; de la cherté de ces animaux qui est montés à un point excessif; il y a 12 à 15 ans que pour 50 écus on avoit une bonne paire de boeufs, et aujourd'huy pour 10 louis d'or on a peine d'en trouver une paire médiocre; de la rareté des fourages quy, depuis quelques années, ne réussissent pas, soit par les intempéries des saisons, soit par les sècheresses, obligant les laboureurs et les paisans à s'en défaire ou a entretenir beaucoup moins qu'ils ne faisoint; enfin, de la grande consommation des veaux qu'il se fait à la boucherie, et qui nuit à l'abondance de ces bestiaux. Les moyens pour remédier à cette rareté des bestiaux seroit de donner des encouragements pour la plantation des prairies artificielles, et pour la bonnification et l'entretien des paturages; d'empécher pendant un certain tems, la vente des veaux à la boucherie et de renouveller les anciennes ordonnances rendues à ce sujet; ce seroit encore, suposé que les boeufs et les vaches quy viennent du pays étranger soint sujets à quelques droits d'entrées des provinces frontières ainsi qu'ils l'étoint anciennement, de les décharger pendans un tems limité, du payement de ces droits, et de faire deffences à tous particuliers d'en faire sortir aucuns hors du Royaume, à peine de confiscation et d'amende.


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