Arisitum LES CEVENNES VIGANAISES EN 1786-1787 (suite)


La rareté des bettes à laine provient de la rareté des paturages quy est occasionnés par les défrichemens qu'on fait sur les montagnes escarpées, et qui au lieu des bons paturages qu'on y voyait autres fois, ne commencent à présenter que des rochers arides. Elle provient aussy de la consommation d'agneaux qu'il se fait à la boucherie, et qui, depuis quelques années, est excessive. Elle est occasionnée encore de meme que leur appauvrissement de la cherté du sel; il est à un sy haut prix que le cultivateur est forcé ou de diminuer la ration quil étoit dans lhabitude de luy donner, ou de tenir beaucoup moins de bettes qu'il ne faisoit. Les moyens de remédier à ses inconvénients seroint de remettre en vigueur l'ordonnance de 1669 qui prohiboit les défrichements des montagnes; de régler dans chaque communauté l'étendue des terreins incultes qui seroient propres et nécessaires pour les paturages et d'en prohiber aussy le défrichement; donner les memes exemptions et faire les memes défences à l'égard des bettes à laine qu'à l'égard des bettes à corne dont on vient de parler, suposé que les bettes à laine du païs étranger soint sujettes à quelques droits d'entrée; et de prohiber pendant un certain tems et sous les modifications nécessaires, la vente des agneaux.


moutons en transhumance

La culture de la montagne est infiniment plus pénible, plus couteuse, et moins durable que celle de la plaine. Sur la montagne, il faut lutter contre le roc, réduire en poudre des terres formées d'un grais asses friable pour etre pulvérisés à coups de pic et le rendre fertile à force d'engrais; soutenir cette terre depuis le pied de la montagne jusques au sommet par des murs multipliés, qui épuisent le travail, l'industrie et les facultés du propriétaire; travailler ces amphitéatres à bras d'homme; avoir une attention suivie à prévenir, à réparer les brêches, les éboulements et les autres dégradations que le moindre orage est capable de causer, en entrainant les terres et les arbres dont elles peuvent etre complantées, ce qui n'arrive pas dans la plaine, où les travaux des plantations sont moins pénibles et moins couteux, où la charrue va partout, où le terrein se soutient par luy meme et sans artifice, et où, en général, l'on ne peut faire d'autres pertes que celles quy proviennent de la négligence du cultivateur.

Sy les défrichements sont avantageux dans le païs, il n'en est pas de meme dans le païs montagneux, tels qu'une partie des Cévennes, où les avantages qu'ils procurent ne sont que pour le moment. Depuis qu'on a toléré les défrichements des montagnes, les eaux ont dévasté les fonds qui, situés sur des penchants, voyent entrainer successivement par les pluies le peu de terre dont ils étoint couverts. Cette terre, entrainée dans les rivières, les comblent, exaucent leur lit et les forcent de verser dans les possessions voisines, et de causer des inondations. Les bois, dont la plupart de ces fonds etoint complantés, ont été coupés, détruits et arrachés, et les paturages ont disparu, de manière qu'on peut dire que, dans la partie montagneuse et escarpée du diocèse, il en a résulté un mal plutot qu'un bien, et c'est ce que les anciennes ordonnances, d'accord avec la Nature, avoint craint et voulu prévenir, en prohibant sous des peines sévères, les défrichements des montagnes. Il en est autrement dans les païs plain et qui n'est pas exposé aux eaux. Les défrichements y sont de la plus grande utilité, sans etre sujets aux memes inconvénients. Ils produisent depuis 7 jusqu'à 10 récoltes de suite, et après 20 ans de repos, ce terrein s'étant gazonné de nouveau, est susceptible d'une nouvelle défriche.


Sur la place d'un village, les gens s'affairent...

Et d'ailleurs, outre la masse des subsistances qu'ils augmentent, ils procurent encore du travail et des secours à la classe la plus indigente du peuple, aux laboureurs, aux travailleurs de terre, qui prenent ces terreins incultes à locaterie perpétuelle, et vont ensuite employer leurs moments perdus, ceux où ils ne trouvent pas d'ouvrage, et ceux où l'intempérie des saisons les empèche d'aller travailler pour les autres. L'on pense donc qu'on doit renouveller la disposition de l'ordonnance de 1669, et prohiber de plus fort le défrichement des montagnes; que dans les païs de plaines, l'on doit prohiber en tout ou en partie les défrichements des terreins complantés en bois; que dans ce meme païs et par tout ailleurs, l'on doit, ainsy qu'on l'a dit cy devant, fixer dans chaque communauté les terreins quy peuvent estre nécessaires pour les patus, et les mettre à l'abry de tous défrichements.

Les bois dans tout le diocèse, sont extraordinairement déchû, soit par la consommation qui s'en fait journellement pour le feu, pour les verreries, pour les charbonnières, pour les filatures de soyes, et pour toutes les autres bouches à feu, soit par les défrichements, soit par le défaut d'entretien et de vigilance de prohiber l'entrée des bestiaux dans les bois nouvellement coupés, soit enfin par les dégats que nombre de gens, qui n'ont d'autres ressources pour vivre que la vente du bois à bruller, y font en déracinant les souches d'arbres, et en ébranchant et coupant les arbres avant leur perfection. Il y a encore de fort beaux bois sur la montagne de l'Espérou, du coté de Meirueis, Saint Sauveur, Camprieu et autres endroits circonvoisins. Ce sont des bois de hetre et de sapin, dont la plus grande partie pourrit par vétusté. Ils ne sont susceptibles d'etre consommés que sur les lieux, ou dans les environs, à cause de leur éloignement et des dificulté des chemins. Il y a 15 ou 20 ans qu'on en essaya le transport sur la rivière d'héraut, par le moyen des radaux; le succés ne répondit pas à l'entreprise, et on l'abandonna. Cette rivière n'est pas assés considérable, ny sont lit assés grand, assés profond, assés net, ny d'une direction assez droite pour un pareil objet. Il y a une de ces forets qui est fort vaste, et qui appartient par indivis au Roy et à la communauté de Meirueis. On prétend qu'il seroit possible d'y établir un moulin à scie, et que les planches, sy on pratiquoit de bons chemins, pourroint etre transportée dans le Languedoc. Ces bois pourroint etre enployés à l'usage des verreries, et dans le moment, on est après d'en établir une à Camprieu.


transport des fagots de bois

Les moyens d'améliorer les bois quy existent et quy sont dans un état de déperissement, seroint de les bien entretenir en les élaguant, en y faisant les autres travaux nécessaires, et en prohibant l'entrée aux bestiaux pendant 2 ans après la coupe, et surtout aux chèvres dont la morsure est très pernicieuse aux arbres. On pourroit encore provigner ceux quy ne sont pas assés épais, et dont les jets seroint assés jeunes pour suporter une pareille oeuvre.? C'est ce qu'on pratique pour les cerclières et pour les bois taillifs de chastagnets, et ce quy réussiroit également pour les chenes et certaines autres espèces d'arbres à bruller.

Le prix de la journée des brassiers ou travailleurs de terre étoit à 20 sols par jour, lorsque l'ouvrier se nourrissoit, et à 10 sols lorsqu'il estoit nourry par l'agriculteur, mais aujourd'huy, la fabrique des bas de soye et de coton occupe tant de monde que les propriétaires des fonds, malgré l'augmentation des journées qui, un endroit comportant l'autre, se portent à 24 sols, sont obligés dans biens des lieux, de laisser des terres incultes, ou de suprimer aux terres cultes une partie des labours et oeuvres ordinaires. L'on peut meme dire qu'on eut manqué de bras pour la culture des fonds sy l'Auvergne et le Rouergue n'y eussent suplée jusques icy. Mais toutes les années, régulièrement, lorsque la rigueur du climat forcoit les habitans de ces deux provinces à l'inaction, ils venoint en nombre pour pretter leur secours et partager nos travaux. Ils passoint avec nous l'hyver et une partie du printemps, et un grand nombre meme s'y établissoient et y fixoient pour toujours leur demeure, mais malheureusement, cette ressource commence à nous manquer. L'on observe que c'est dans das païs où les travailleurs de terre sont les plus nécessaires, tels que dans les Cévennes, que la population a besoin d'etre encouragée plus que partout ailleurs.


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