Arisitum: L' Enigmatique fondation du quotidien républicain "Le Petit Méridional" (1876) (page 6)


La piste radicale

Notre département conserve de fortes attaches légitimistes, jusqu'au début des années 1870, sous l'influence des notables montpelliérains: ainsi les élections législatives de 1871 voient-elles les Royalistes s'emparer de 8 sièges à pourvoir. Mais ce résultat ne doit pas masquer la réalité des suffrages: 55% pour la droite, 45% pour la gauche, dont les fiefs se situent dans le sud-ouest de l'Hérault. Ainsi, dès juillet 1876, les Républicains deviennent majoritaires et, en 1878, ils s'emparent finalement des 6 sièges (le nombre d'élus a été abaissé). Ainsi, la gauche va-t-elle rester largement majoritaire pour plusieurs décennies (61).

Dans les luttes politiques qui opposent les Héraultais, le "Petit Méridional" joue un rôle non négligeable: la publication de son programme radical (réclamant entre autres la suppression du sénat et la séparation des églises et de l'Etat), le 30 juillet 1881, coïncide avec l'éviction des personnalités républicaines modérées.

A Montpellier, le maire Léon Coste est écarté par le Comité Central républicain en 1878, pour être remplacé par Alexandre Laissac (62), qui prend en 1884 l'étiquette radicale; à Sète, Jacques Salis devient député en 1881, après avoir été maire de la ville. Au même moment, à Saint-Chinian, Jules Razimbaud inaugure la dynastie radicale.

Ainsi, le "Petit Méridional", s'il n'a pas converti à lui seul les Héraultais au radicalisme, a fortement contribué à la disparition des modérés de la scène politique départementale, en les privant de tribune d'expression (63).

Au cours de l'année 1881, la structure interne du journal connaît une évolution importante. Le 14 décembre, grâce aux nouvelles lois plus libérales sur la presse, se constitue la "Société anonyme du Petit Méridional et autres publications", ouverte à l'actionnariat. C'est l'occasion pour les fondateurs de procéder à une augmentation de capital de 150.000 francs (64), divisé en 300 actions de 500 francs.

Douze personnes y souscrivent parmi lesquels Sereno (29 actions) et Camoin (6 actions), qui conservent tout de même leurs 2.850.000 francs d'apport initial (soit désormais 5700 actions). Avec une voix pour dix actions, les deux jeunes gens disposent d'une majorité écrasante au conseil d'administration.

Or, au cours de la première assemblée générale, le 15 décembre 1881, ne profitant pas de leur position prépondérante, ils s'abstiennent de prendre part au vote (65). Alexandre Laissac est élu président du conseil d'administration; Victor Faliès (66) occupe le poste de secrétaire tandis que Elisée Déandreis (67), Auguste Maurin (68) et Michel Vernière (69) sont nommés "commissaires à l'appréciation de l'appui des fondateurs " (70).

Tout semble s'être déroulé comme si les rôles avaient été définis par avance, indépendamment de la puissance financière des souscripteurs. De plus, cette augmentation de capital, relativement infime et si peu ouverte, parait curieuse: pour s'en justifier, les fondateurs du "Petit Méridional" invoqueront l'interdiction faite par la loi de débiter le capital en actions d'un prix inférieur à 500 francs, entraînant l'impossibilité d'en offrir à un tarif accessible au plus large public.

A la suite de Roland Andréani, on peut mettre en doute la sincérité de Sereno et de Camoin: le changement de statuts de la société du "Petit Méridional" semble avoir été l'occasion d'honorer un certain nombre de personnalités héraultaises.

Outre les fondateurs, qui trouve-t-on parmi les nouveaux souscripteurs ?
- des hommes politiques: Elisée Déandreis, Alexandre Laissac, Michel Vernière, Isidore Girard (71) et Emile Anterrieu (72);
- des journalistes: Jules Béchet (73) et Jules Gariel;
- un papetier: Louis Faliès (74);
- un artiste peintre: Victor Faliès;
- un homme de loi: Auguste Maurin

Mis à part celui-ci, dont on connaît mal le rôle qu'il a pu jouer au sein du "Petit Méridional", on constate que les neuf autres ont un lien avec le monde de la presse radicale, soit directement (les journalistes et les papetiers), soit indirectement (les hommes politiques).

Si deux d'entre eux sont originaire de Marseille (Jules Béchet et Jules Gariel sont collaborateurs de la première heure du quotidien), les huit autres sont héraultais: Elisée Déandreis, Alexandre Laissac, Michel Vernière, Isidore Girard, Emile Anterrieu, Louis et Victor Faliès, ainsi que Auguste Maurin. Nous pensons que ces derniers pourraient être les instigateurs locaux du journal, que l'on aurait remercié de leur concours primitif en leur permettant d'entrer dans le capital de la société anonyme (75).

Là encore, nous ne pouvons avancer de preuves fondamentales pour étayer nos hypothèses. Nous savons seulement que les huit actionnaires montpelliérains auraient été suffisamment riches (leur investissement dans la société anonyme le prouve) pour aider le journal en cas de difficultés, entre 1876 et 1881.


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